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03 janvier 2021

Venise toujours en péril : que seront les mois à venir ?

L'eau, cet élément fondamental de la vie au même titre que l'air et la lumière, continue de préoccuper les esprits. Combien de philosophes se sont penchés sur sa symbolique, combien de poètes l'ont chantée, combien de peintres l'ont-ils représentée... 

Herbert List, St Heinrich, Munich, 1950 - Coll. Particulière
Avec les dernières heures de cette annus horribilis que l'Humanité vient de vivre, nous pourrions faire le choix du pessimisme, de la tristesse voire même de la peur et du découragement. De nombreuses portions de la planète manquent d'eau, la sécheresse force des millions d'êtres à quitter leurs terres où plus rien ne pousse, ailleurs les nappes phréatiques quand elles ne s'amenuisent pas sont polluées et dangereuses, avec le réchauffement climatique, les glaciers fondent gonflant mers et océans. 

Cette montée des eaux est une menace dans bien des points du monde. Venise est particulièrement menacée, ce n'est pas une nouveauté. C'est de cette fragilité originelle qu'elle est née, c'est avec ce danger connu et calculé qu'elle a construit sa puissance et pu préserver pendant plus de mille ans son indépendance. La gloire de Venise procède des Eaux, force mythique qu'elle a longtemps su respecter et apprivoiser.  

Ainsi depuis quelques jours et certainement encore pour une bonne partie des premières semaines de janvier les marées seront hautes et les risques d'acqua alta quotidiens. Heureusement le MOse est là dont nous n'avions pas cru et dont dans ces colonnes même nous nous étions gaussé. Le système de blocage des eaux fonctionne et c'est tant mieux. Nous nous sommes trompés, en dépit des retards, des exactions, des scandales et du coût de sa construction, MOse est utile et, du moins avec les amplitudes actuelles, il fonctionne et joue pleinement son rôle. Trop souvent nous avons hurlé avec les loups, participant sans prendre le temps de la réflexion au refus systématique de tout progrès. On ne peut cependant pas s'empêcher de frissonner lorsque on reçoit le bulletin de prévision adressé par mail aux résidents, comme celui du matin du dernier jour de l'an passé... Pire est d'entendre la sirène annonçant la montée des eaux quand on est chez soi. Mais le frisson est moindre désormais et pour les plus jeunes, le souvenir de la terrible inondation de 1966 n'est qu'une histoire que racontent leurs parents et grands-parents. Heureusement, MOse est à l’œuvre et sauve Venise des eaux !

Previsione delle ore 06:30 del giorno 31 dicembre 
Giovedì 31 dicembre previsto un massimo di marea di 110cm alle ore 11:00.
Possibile azionamento del sistema MOSE.
Si segnala la possibilità di fenomeni mareali fino al giorno 4 gennaio. 
Si invita la cittadinanza a seguire gli aggiornamenti

D'une manière pragmatique les ingénieurs qui l'ont conçu pensaient aux nécessités immédiates et ont envisagé le meilleur système en adéquation avec la montée croissante des eaux. En cela, ils ont réfléchi avec les mêmes attendus que leurs ancêtres du Moyen-Âge quand il fallu trouver une solution déjà aux inondations dévastatrices pour la lagune et ce qu'on appelait pas encore son écosystème. Il faudra certes un jour quelque chose d'encore plus lourds et coûteux pour préserver l'existence même de la cité lagunaire et de son environnement mais aucun de nous ne sera là pour l'envisager. L'idée en reviendra aux savants et aux ingénieurs des générations futures. 

Mais ce que nous pouvons faire d'ores et déjà, n'est-ce pas de tenter de préserver avec toute notre énergie l'existant, panser les blessures infligées par l'humain à la nature, la flore, la faune, soigner la qualité des eaux, limiter les désagréments du mode de vie moderne, lutter contre les abus, la profanation des océans en général et de la lagune en particulier, de son sous-sol, de ses eaux, de toutes les vies animales, végétales, minérales qui y prolifèrent ; tenter de débrancher la folie humaine du toujours plus, du profit et du lucre, ces fondamentaux d'un mode de pensée insoutenable responsable de l'état - grave - dans lequel se retrouve notre planète terre. 

Gageons que l'Humanité prenne enfin conscience du danger et que celui-ci est pour demain si nous ne nous bougeons pas les fesses !



13 juillet 2020

Tramezzinimag fait un point d'étape avec ses lecteurs

Photographie de Arven Gritenreiter illustrant un article de Tramezzinimag (novembre 2012)
Depuis plusieurs mois, Tramezzinimag retrouve de nombreux billets du blog originel supprimé sans aucune explication par une intelligence artificielle (à laquelle j'aurai bien fait la peau mais ce n'est qu'un robot...). Il  en manque encore beaucoup. Seuls un petit peu plus de 30% des billets publiés entre l'année de la création du blog et l'été 2016 ont été retrouvés à ce jour avec leurs illustrations, images, sons ou vidéos. Un travail énorme qu'il faut faire pour conserver la mémoire de tout ce qui a pu être présenté et qui draina pendant plus de dix ans plus de 900.000 visiteurs et valut au site plusieurs milliers d'abonnés. 

Le choix a été fait de republier ces billets à la date d'origine, la plupart du temps à la même heure... Lorsqu'il y avait des commentaires et quand il est possible de les récupérer, nous avons choisi de les republier à l'identique, sans corriger les éventuelles fautes d'orthographe, en réactivant chaque fois que cela est possible les liens avec les sites des auteurs de ces messages. Une manière de les remercier des années après de leur fidélité. Parfois, nous avons la bonne surprise de retrouver des lecteurs que la disparition du blog avait surpris et qui apprennent que Tramezzinimag a repris vie depuis quatre ans maintenant e, même si le rythme des publications s'est considérablement ralenti, ils nous écrivent leur joie de nous avoir retrouvé. 

Qu'ils en soient chaleureusement remerciés. Sans ces lecteurs fidèles et passionnés, Tramezzinimag ne serait plus. Je tiens personnellement à remercier ceux d'entre eux qui continuent à faire des dons car le coût de la remise en état du blog est réel et ils l'ont bien compris. Pour ces gentils donateurs, un grand merci aussi.Nous sommes en train de penser un moyen de faciliter les liens vers les anciens articles quand leur contenu est toujours d'actualité, quand le succès qu'ils avaient eu à leur parution (certains billets ont eu plusieurs dizaines de milliers de lecteurs !), nous font penser qu'ils méritent d'être lus même des années après leur création par les nouveaux lecteurs.

Vue de la terrasse de l'ex-Cucciolo, devenue le restaurant de la Calcina. © Catherine Hédouin, 20/07/2020
Tramezzinimag se veut ainsi, modestement, une base de données sur Venise, sa civilisation, sa lagune, ses problèmes. Nous sommes fiers d'avoir souvent été utilisés par des scolaires, des enseignants, fiers d'avoir été cité dans des travaux universitaires, des médias de tout le monde francophone. Bien que la mode des blogs soit passée, bien que les nouveaux lecteurs formatés à de nouvelles habitudes, veulent du très court, du synthétique, et sont habitués à survoler l'information, à s'alimenter à des sources souvent superficielles, nous avons décidé de garder le cap et de tenir bon : Nos articles sont souvent longs, bavards, détaillés. C'est l'image de marque de Tramezzinimag et nous continuerons de défendre cette ligne éditoriale. 

Les récents évènements, même amplifiés par une presse ravie de retrouver des choses à dire et un pouvoir par défaut, ont conduit beaucoup d'entre nous à une réflexion sur nos priorités et prouvé qu'il était urgent de tout ralentir. Cela veut dire prendre le temps pour réfléchir et pour comprendre. C'est la base même de notre liberté. Un rempart contre la désinformation, la manipulation et la confiscation de notre libre-arbitre. Tramezzinimag s'inscrit dans cette volonté de donner à voir, à penser sur les thèmes qui sont les nôtres : la sauvegarde de Venise, la vie quotidienne de ses habitants, les excès et les dangers du tourisme de masse. Nous nous efforçons depuis 2005 de montrer que Venise et sa lagune, sont un laboratoire pour l'humanité entière. De la manière dont les choses se passent dans cet espace réduit qu'est l'ancienne République des Doges, beaucoup ont compris qu'on peut en déduire ce qui pourrait advenir ailleurs et les remèdes que les vénitiens apporteront à leurs problématiques peuvent être traduits et adaptés à toutes les problématiques du monde moderne. Venise est un modèle d'organisation et de survie depuis près de deux mille ans. C'est ce que nous essayons de traduire et de montrer article après article. Avec votre collaboration, votre aide et votre soutien, vos messages, vos commentaires, vos suggestions et vos dons, nous continuerons de faire notre part. Elle reste modeste mais déterminée.

D'appétissants tramezzinini proposés nos amis du site venessia.com
La suite logique de ces propos, cette description de nos motivations et de notre enthousiasme, c’est la naissance, souvent annoncée et maintes fois reportée, de la maison d'édition baptisée à l'origine du nom du blog, (difficilement prononçable pour les non italianisants non mangeurs de Tramezzini, il faut en convenir !) et qui a été ralentie par la crise sanitaire mondiale. Tout est fin prêt pour la parturience. 

Ainsi, au nom de notre petite équipe, je suis heureux de vous annoncer son lancement dans les prochains jours, en dépit de ce retard et de beaucoup d'incertitude quant à la sortie de cette crise inédite et à ses conséquences sur le monde de la culture et du tourisme. A suivre donc, restez à l'écoute, Tramezzinimag reviendra très vite vous détailler notre projet !

En attendant voici en lien, à titre d'exemples, quelques billets retrouvés que nous venons de republier : "A Venise des bonheurs au quotidien" avec un accompagnement sonore de Mark Orton, La rubrique Coups de Cœur N°25 et aussi "En coup de vent et sous la pluie", deux billets du 6 juillet 2008.

Nous vous invitons à vous promener dans les premières années (le sommaire complet est dans la colonne de droite), si certains textes ne sont plus trop d'actualité, d'autres demeurent aussi frais qu'au premier jour. N'hésitez pas à laisser des commentaires. le livre d'or existe toujours, nous serions heureux d'y voir de nouveaux messages de nos lecteurs ! Notre petite équipe est passionnée mais vos encouragements, vos avis et critiques sont vraiment les bienvenus !

13 mai 2019

Notre-Dame : ce que dit la charte de Venise (petit cours à l’usage de Franck Riester)

Franck Riester devant l’Assemblée Nationale le 10 mai 2019 pour la discussion de la loi d’exception pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris
Tramezzinimag ne peut résister à présenter à ses lecteurs l'excellent et roboratif article de Didier Rykner paru vendredi 10 mai dernier dans La Tribune de l'Art, le jour même de l'intervention du ministre devant l'Assemblée Nationale. Texte qui donnerait du baume au cœur si les faits qui l'ont inspiré n'étaient pas d'une tristesse profonde. L'inanité mentale de nos dirigeants, leur inculture, voire leur bêtise donne envie de pleurer. Ce ministre qui n'a de rapport à la culture que celui qu'il co-signa avec Alain Chamfort sur la musique et le commerce, ferait un excellent concessionnaire automobile. Son père serait ravi qu'il prenne sa suite. Pourquoi ne le nommerait-on pas ministre des transports plutôt ? Après tout n'est-il pas diplômé d'une école de gestion. Nous sommes vraiment à l'ère des affaires et du pognon. Alors, l'art, la sauvegarde des monuments historiques, là-haut, ils s'en tapent le coquillard. Moi ça me rappelle "House of Cards"...
"Le débat aujourd’hui à l’Assemblée Nationale sur la loi d’exception a souvent été accablant. Entendre le ministre de la Culture expliquer que la charte de Venise dirait « très clairement » que « les restaurations doivent être distinguées de l’original » et que « les gestes architecturaux contemporains sont permis » prouve que celui-ci, une nouvelle fois, raconte n’importe quoi.

Que dit donc la charte de Venise. Il nous faut revenir à ce texte et l’examiner pour bien comprendre qu’il n’y a en réalité aucune ambiguïté. Nous prendrons les phrases qui concernent ce sujet pour les analyser.

On lit dans l’article 9 : « [La restauration] s’arrête là où commence l’hypothèse, sur le plan des reconstitutions conjecturales, tout travail de complément reconnu indispensable pour raisons esthétiques ou techniques relève de la composition architecturale et portera la marque de notre temps. »

La restauration de la flèche, qui est un élément constitutif du monument tel qu’il a été classé monument historique (donc tel qu’il doit être restauré), n’est en aucun cas hypothétique. La flèche est parfaitement documentée par les photographies et relevés récents, ainsi que par les plans de Viollet-le-Duc qui sont entièrement conservés. De plus, cette flèche est encore en partie conservée, dans ses parties d’ailleurs qui auraient été les plus difficiles à refaire, à savoir les sculptures de la base et le coq qui la surplombe.
La seule possibilité d’un élément portant la marque de notre temps (donc d’un « geste contemporain ») pourrait porter sur un « travail de complément » qui serait « indispensable » à cette flèche ou à la cathédrale, « pour raison esthétique » ou « pour raisons techniques ». Ce n’est évidemment pas le cas.

On lit dans l’article 11 : « Les apports valables de toutes les époques à l’édification d’un monument doivent être respectés, l’unité de style n’étant pas un but à atteindre au cours d’une restauration. » Le caractère « valable » de l’apport de la flèche de Viollet-le-Duc a été reconnu de longue date, ne serait-ce que par le classement de la cathédrale avec la flèche.

On y lit également : « Lorsqu’un édifice comporte plusieurs états superposés, le dégagement d’un état sous-jacent ne se justifie qu’exceptionnellement et à condition que les éléments enlevés ne présentent que peu d’intérêt, que la composition mise au jour constitue un témoignage de haute valeur historique, archéologique ou esthétique, et que son état de conservation soit jugé suffisant. Le jugement sur la valeur des éléments en question et la décision sur les éliminations à opérer ne peuvent dépendre du seul auteur du projet. » Il n’y a donc aucune raison d’éliminer la flèche de Viollet-le-Duc qui doit être restaurée. Cet article seul suffit à empêcher la construction d’une nouvelle flèche.

Les articles 12 et 13 ne s’appliquent que :

- s’il faut remplacer une partie manquante, et ce n’est pas le cas car la partie manquante, qui ne manque qu’en partie seulement, doit être restaurée,

- ou si une adjonction était nécessaire, ce qui n’est pas le cas puisque aucune raison esthétique ou technique ne l’impose comme le dit l’article 9.

Voilà exactement ce que dit la charte de Venise, très bien écrite et qui s’applique sans problème au cas de Notre-Dame. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Quant à entendre Franck Riester expliquer que le choix d’une restauration à l’identique (nous parlons évidemment de l’aspect extérieur de la cathédrale, tout le monde le comprend ainsi) doit être celui des spécialistes quand il s’obstine à écarter les scientifiques du débat, c’est franchement dérisoire. C’est bien le gouvernement qui a décidé, dès le lendemain de l’incendie, de lancer un concours pour la « reconstruction de la flèche », alors que la restauration d’un monument historique ne peut, dans notre code du patrimoine, donner lieu à un concours. C’est bien le gouvernement donc qui oriente les débats dès le début. Décidément, ce ministre de la Culture ne comprend rien à sa mission ni à la restauration des monuments historiques. "
Didier Rykner

27 août 2018

Un matin comme les autres. Chroniques d'un été vénitien (2)

Vivre en pleine conscience les instants les plus bénins de nos jours érigés en ouvrage d'art, work in progress toujours inachevé, l'écoulement des heures où les tâches du quotidien prennent le masque d'évènements sacrés. Le premier café du jour d'habitude est un moment de calme. j'aime bien le prendre en dehors de la maison, surtout en cette saison. Un de mes endroits favoris depuis quelques mois, surtout lorsque le temps s'avère doux comme aujourd'hui, est le café de la Foresteria des Crociferi. L'endroit est tranquille, ombragé, et on a le choix entre une terrasse sur l'eau ou le cloître de cet ancien couvent garni de tables et de chaises longues. L'accueil y est vraiment sympathique et attentionné. Le café et les viennoiseries qu'on y trouve sont parmi les meilleurs de la ville. Bref, l'endroit idéal pour reprendre les notes de la veille, lire le journal, répondre aux courriels du jour avant que de vraiment commencer la journée. Depuis chez moi, il ne faut pas plus de dix minutes à pied pour y parvenir et quand j'arrive au comptoir pour passer ma commande, il n'y a guère que trois ou quatre personnes. Les touristes ne se lèvent pas très tôt. Fort heureusement. Mais, ô surprise, une longue queue ce matin tout le long du bâtiment sur le campo, depuis la caserne des carabiniers jusqu'à l'intérieur du bâtiment... Etudiants venus demander une chambre pour la rentrée prochaine ? Touristes ? 

De loin cette foule en cet endroit était pour le moins étrange. Il s'agit en fait d'un casting géant pour un film que se tournera à Venise. Secret bien gardé jusqu'à hier sur le titre du film. Il s'agit en fait de la suite de Spiderman, qui devrait s'intituler Far from Home avec toujours Tom Holland que dirigera Jon Watts. Des gens de tous âges et des deux sexes attendent depuis un long moment déjà que le réalisateur et son équipe fassent leur choix. Le film devrait sortir sur les écrans pendant l'été 2019 aux Etats-Unis. Pas vraiment le genre de cinéma que la Mostra met en compétition mais visiblement l'idée d'y participer ayant fait se déplacer autant de personnes, L'homme-araignée, interprété depuis Captain America : Civil War, par le jeune Holland, connu sur les réseaux sociaux pour ses gaffes et ses non-révélations, trop nombreuses et pertinentes pour ne pas être orchestrées par de très bons professionnel est très populaire en Italie !



Inutile de dire, que du coup, les lieux sont aussi bruyants que le marché du Rialto vers 11 heures ou le hall de Santa Lucia les jours de grosse affluence - ce qui représente beaucoup de jours dans l'année, vous le savez... Mais qu'importe, la  nous apporte des solutions. C'est un casque aux oreilles que j'écris et déguste mon macchiato à la température parfaite, au goût onctueux, et le croissant qui l'accompagne. Fait d'une délicieuses pâte de brioche, jaune, veloutée et remplie d'une confiture d'abricots artisanale, il a des relents des petits-déjeuners d'autrefois à la campagne. La foule est bon enfant, patiente, les gens plaisantent, bavardent entre eux et de temps à autre la file avance. Un entre soi bien sympathique. Il y a là plus d'une centaine de vénitiens, un petit 500e de la population de Venise... 


Décidément, la ville s'est depuis quelques jours placée de nouveau sous le signe du cinéma. La Mostra commence demain soir. Déjà hier, nous avons foulé le tapis rouge traditionnel. Non pas encore celui du Festival, la fameuse Mostra dont c'est la 75e édition (gloups, terrible nostalgie : les éditions auxquelles j'étais accrédité pour un quotidien français portaient les numéros 42 et 43 mais chi se ne frega...), mais celle du mythique Hôtel des Bains rouvert pour l'occasion par la COIMA, l'actuelle propriétaire de l'Excelsior et des Bains. 



Après plusieurs années de mystère et de silence, des projets de résidence de luxe, des rumeurs de démolition et de pillages, c'est officiel : d'ici 2025, l'Hôtel des Bains retrouvera sa splendeur d'antan et ouvrira de nouveau ses salons, ses chambres, son restaurant et ses plantureux jardins au public. Une belle nouvelle. Le prétexte de cette réouverture temporaire, une exposition organisée sans grands moyens qui retrace en quelques centaines de photos et de documents fac-similés l'histoire de la Mostra depuis sa création en 1932 jusqu'à nos jours. On y retrouve des photographies en noir et blanc de vedettes célèbres, d'hommes politiques et des scènes de films cultes. 


Le public vient surtout pour revoir les salles, les plafonds décatis, les peintures écaillées. Fatigué mais toujours splendide, de cette flamboyance classieuse des vieilles demeures nobles. Les terrasses sont ouvertes au public et le mobilier de jardin a retrouvé sa place. les statues et les vases de pierre sont toujours à leur place et le jardin - relativement - entretenu. Au vernissage qui a eu lieu hier, il y avait le ban et l'arrière-ban du monde du cinéma, le président de la Biennale, les dirigeants de la COIMA, et une bonne partie de la société vénitienne. On n'y a pas vu le maire Brugnaro, dont on chuchote qu'il boude l'initiative parce qu'il aurait préféré un énième programme immobilier bon pour les caisses des partis qui le soutiennent. Mais ce ne sont que des potins auxquels il ne faut surtout pas porter attention. 


En tout cas,  en foulant le tapis rouge du péristyle, votre serviteur a retrouvé avec une certaine nostalgie, des bribes de son passé vénitien. Ma rencontre sur la terrasse avec Hervé Guibertles clichés qu'il m'avait montré dans sa chambre aux persiennes viscontiennes, nos échanges sur Venise, Matzneff et Visconti, le garçon dégingandé qui l'accompagnait, boudeur, les propos désabusés de Ionesco à sa femme, Charlotte Gainsbourg presque bébé encore  la grande réception de Daniel Toscan du Plantier avec Unifrance dans les jardins pour je ne sais plus quel film ou simplement pour célébrer l'omniprésence de la France et de son cinéma à Venise, notre arrivée avec Fabienne Babe  que poursuivait de ses assiduités ordonnées par la production du bellâtre Rob Lowe en talonnettes, et Agnès la fille du consul... La présentation du film Il Sapore del grano, filmé dans l'appartement que j'occupais Calle Navarro, à Dorsoduro et dont le héros porte mon prénom en hommage aux soirées passées à élaborer le scénario avec Gianni Da Campo et puis la rencontre avec Marina Vlady, l'une des protagonistes du film... Les années joyeuses. Une autre vie, un autre monde dont le souvenir après tout n'intéresse personne. Juste des souvenirs dont l'évocation m'émeut...




16 août 2017

Chemins de traverse
























Ceux qui sont familiers de ces pages savent combien leur auteur et ceux qui parfois le rejoignent ont à cœur de défendre une vision du monde hors des sentiers battus, sans renier pour cela ce que les voies bien tracées et joliment entretenues ont d'utile et de confortable. Certains crieront au paradoxe, je les entends déjà, mais n'est-il pas important, surtout dans ces temps où tout doit aller de plus en plus vite, de refuser de se laisser entraîner dans cette folie, de refuser approximation et superficialité et de prendre le temps pour mieux se pénétrer de l'esprit du monde et tenter de le mieux comprendre.

Le voyage n'est-il pas, avec les livres, le meilleur des moyens pour cela ? L'expérience vécue par le voyageur, avec son corps autant qu'avec son esprit laisse toujours en lui une empreinte indélébile.  Comme le livre, mais avec bien plus d'acuité, et si tant est que nous soyons vraiment prêts à cela, il bouscule toujours le confort et les certitudes de nos petits cerveaux engoncés dans l'obscurité. Combien parmi nous ont été littéralement sauvés, et parfois sans s'en rendre compte, par la découverte d'un ailleurs dont ils n'auraient jamais imaginé l'impact sur leur vie."Les voyages forment la jeunesse" dit l'expression populaire, mais elle transforme aussi tous ceux qui acceptent de se laisser bousculer. Pour cela, et plus l'âge avance, il est besoin d'humilité. Admettre   que finalement on ne sait rien et s'en réjouir. Se libérer de tous les a priori et autres présupposés qu'une société frileuse et arrogante nous inculque inlassablement, pour aborder la rencontre d'autres senteurs que celles qui nous sont familières. Accepter de nous laisser immerger dans d'autres usages et d'autres valeurs. Wikipedia ou Facebook ne pourront jamais apporter cela. Ils peuvent y contribuer par les informations qu'ils véhiculent et les liens qu'ils facilitent. Seule la confrontation, physique et matérielle, avec une autre réalité, permettra que surgisse l'étincelle, allumant ainsi un feu qui le plus souvent couvait depuis toujours. Celui qui franchit sa peur et ses doutes trouvera la joie au bout du chemin.

L'esprit du Large.
Mais pour que vraiment s'accomplisse la métamorphose qui enrichit toute une vie, il s'agit d'aller au-delà des itinéraires tracés, franchir le mur des conventions. Ne pas hésiter à aller fuorirotta. Si la traduction littérale du mot italien a une connotation moins positive (fausse route), sa véritable acception est le chemin de traverses, la voie inédite, différente. Alternative. Et cette velléité de sortir d'une routine perçue comme un enfermement quand il y a tant à voir et à apprendre dehors, en deçà du confort rassurant de nos rites et usages, se répand de plus en plus parmi les esprits libres.

Il est significatif que ce souffle neuf prenne source parmi la jeunesse - au moins une partie de celle-ci - de pays façonnés par la pensée humaniste largement étouffée par le matérialisme et l'utilitarisme.  Les enfants de ces mondes repus et insatisfaits résistent spontanément et cherchent d'autres voies que les chemins officiels qui leur sont proposés-imposés et c'est bien. Ce sont eux qui aujourd'hui inventent le monde de demain. Ils avancent et leurs fanions claquent au vent. Les culs-de-plomb crient leur effroi devant ces jeunes qui prétendent réinventer le monde et font passer l'amour et la paix, la fraternité et la beauté avant le profit et la sécurité. Ils pourraient se contenter de profiter de tout ce qui est mis à leur disposition et se repaître du confort et de la prospérité de leur monde. Ils on choisi l'inconfort de l'inconnu, la main tendue à l'étranger, et partent à la recherche de terres impollues. Ces conquérants peuvent sauver le monde et rien ne résistera à leur détermination. Ils sont l'espoir de l'humanité. 

Mes voyages et mes activités - autre forme de voyage, intérieur celui-là - m'en font souvent rencontrer. Particulièrement ici à Venise. Et leur détermination ne reste pas sur le rebord des verres que nous buvons ensemble. Ils ont retroussé leur manche depuis longtemps et le passage à l'acte n'a jamais été pour eux un problème. S'ils sont respectueux des règles et des lois, ils n'hésitent pas à les utiliser, les contournent ans les enfreindre, pour avancer vers le but qu'ils se sont fixés. On les retrouve sur tous les fronts et ils attirent la sympathie des gens, du moins de ceux qui ont du cœur et savent les regardent comme de jeunes pionniers ardents prêts à prendre la relève. Je ne puis évoquer cette situation étrange où les adultes que nous sommes laisseront à ceux qui nous suivent un univers en péril sans entendre la marche du Bourgeois gentilhomme de Lully, martiale et légère à la fois. Comme est le pas de cette génération qui cherche, invente et innove.
 
A Venise, ils ouvrent des logements laissés vides, les rénovent et les offrent à ceux qui ne trouvent plus où vivre parce que les règles impitoyables de l'idole Profit en ont ainsi décidé et s'organisent en nouvelles communautés solidaires. D'autres en rénovant des embarcations anciennes selon des procédés oubliés faute d'artisans pour les transmettre, contribuent à faire revivre le mode de vie de leurs ancêtres, le mieux adapté à leur lieu de vie unique, d'autres organisent concerts et évènements sociaux dans des lieux confisqués et laissés à l'abandon faute d'intérêt financier. Ainsi jardins et bâtiments sont ouverts à tous, permettant à la population de se rapproprier la ville. D'autres encore combattent les paquebots géants qui sont légion désormais et débarquent chaque jours des milliers de visiteurs pressés, polluent l'air et l'eau et représentent un réel danger pour la cité des doges et l'écosystème lagunaire. Il y en a qui produisent et diffusent dans toute la ville légumes et fruits issus d'une agriculture biodynamique et ont était de Venise ce qu'elle fut de tous temps, une cité locavore...


TraMeZziniMag défend bec et ongles l'idée que Venise est un laboratoire. La ville fourmille d'événements et d'initiatives toutes plus innovantes les unes que les autres et le plus souvent ceux qui les mettent en œuvre n'ont pas trente ans. Ils n'attendent pas de monter des dossiers qui ici demandent encore plus de temps et d'énergie qu'en France. L’État ne donne rien, les édiles étant trop occupés à défendre leurs prés-carrés et leur future réélection. La municipalité même composée d'un certain nombre de femmes et d'hommes de bonne volonté, n'a plus aucune imagination depuis longtemps  et elle se contente de sauver les meubles, écopant le fonds de la barque quand il faudrait revoir l'embarcation, calfater et changer mâture et voilures... 
Il y a donc une jeunesse ici, qui crée, bâtit, élabore, édifiant ainsi les bases d'une société alternative totalement en adéquation avec la ville et son environnement. Nullement passéistes, ils savent utiliser tout ce que les techniques de pointe peuvent offrir, voire inventer de nouvelles solutions, appliquant toujours leur savoir dans un seul but : préserver l'identité de Venise et assurer la pérennité de sa civilisation. Car quand on évoque la sauvegarde de la Sérénissime, c'est toujours et avant tout de défendre une civilisation dont il s'agit. Venise et ses habitants ont apporté au monde depuis l'arrivée des premiers habitants de Rivo Alto, des idées et un mode de fonctionnement que les adeptes de la modernité, de Buonaparte à De Michelis ont cru dépassés et folkloriques. 


La République est morte de sa vanité et des excès d'une élite fatiguée et repue. Mais l'esprit de San Marco n'a jamais vraiment quitté le cœur des vénitiens. Les exemples sont légion qui montrent que les usages et les techniques, les règlements et les coutumes sont autant nécessaires et vitaux qu'ils le furent autrefois. Rien n'a jamais été fait dans et autour de cette ville qui ne soit en réponse aux besoins de son développement et de sa survie. Il ne faut pas être un génie pour comprendre que rien dans ce contexte très spécial ne peut être appréhendé comme on le ferait ailleurs. On ne peut y appliquer les modes de gestion et de fonctionnement en usage dans toutes les villes du monde. Tout ce qui a été entrepris ici par mimétisme s'est révélé à chaque fois inefficace  et les résultats toujours catastrophiques, pire que le problème qu'il y avait à résoudre. Partout la méconnaissance du passé, des usages et des traditions mène à plus ou moins brève échéance les sociétés à la catastrophe. 

Ainsi Venise a une responsabilité gigantesque. Devenue d'un point de vue statistique, une petite ville de province avec à peine plus de 54.000 habitants (contre 200.000 au Moyen-âge et plus de 100.000 dans les années 50) nombre largement inférieur à celui recensé après la grande peste et en-dessous de la population de Torcello quand l'île était le siège de la petite communauté, Venise affronte aujourd'hui une situation dramatique et complexe si on l'envisage avec des yeux de technocrates et d'énarques. 

Cependant, elle dispose d'un atout formidable : son histoire. De la fabrication des palli à celle des briques, de la circulation des navires à la protection de la flore et de la faune lagunaires, de la montée des eaux à l'entretien des canaux, de l'accueil des visiteurs à l'occupation des habitants, de l'approvisionnement au trafic des marchandises, tout a été pensé, réfléchi, organisé par le gouvernement de la République afin de permettre à la ville de survivre plus de deux mille ans pour apparaître au XXIe siècle quasiment identique à ce qu'elle a toujours été. Les civilisations sont toutes mortelles et il ne sert à rien de vouloir les maintenir artificiellement en vie si cette vie n'est plus qu'artifice et illusion. Avant d'être patrimoine de l'Humanité, Venise est un corps vivant. L'énergie positive qui coule dans ses veines contribue à sa permanente régénérescence. Les cellules vives qui permettent ce miracle, ce sont ces jeunes - pas forcément vénitiens de souche, mais de branche voire d'adoption - qui n'arrêtent pas de réinventer le mode de vie vénitien. Ils renouvellent le métissage social et intellectuel qui a fait la richesse de la ville. Faisons-leur confiance mais aidons-les aussi. En leur apportant notre soutien lors des pétitions et des référendums populaires citoyens, en participant à leurs manifestations, en contribuant selon nos moyens à leurs entreprises. Beaucoup d'entre nous le font déjà, mais il en faut davantage.

TraMeZziniMag présentera un annuaire de ces groupes et associations avec les liens pour mieux les connaître et voir comment les aider. Si vous aimez vraiment Venise, vous ne souhaitez pas qu'elle devienne un Las Vegas, un simple musée, une réserve d'indiens, un parc d'attraction qu'on ouvre le matin et referme le soir, ni qu'il faille envisager un jour prochain de devoir endosser un scaphandre pour en voir ses trésors enfouis sous une eau saumâtre.Alors retroussons nos manches pour ceux d'entre nous qui ont l'honneur et le privilège de pouvoir y vivre, et apportons notre soutien à cet effort de guerre de civilisation qui est engagée par ces arpenteurs et défricheurs bourrés de talents et d'énergie !

10 juin 2017

Cure de jouvence pour le Todaro

C'est en 1329, si on en croit Francesco Sansovino que fut installé en haut de la colonne occidentale de la Piazzetta la statue de Saint Théodore, Todaro en vénitien, premier protecteur de la cité avant que la dépouille de l’Évangéliste Marc soit amenée à Venise dans des circonstances pour le moins rocambolesques et devienne le saint patron de la République. Cela ne représente pas as moins de 700 ans de présence au-dessus de tous en dépit de son déclassement au bénéfice de Saint Marc dont le symbole trône sur l'autre colonne, du côté du palais ducal. Bien des hivers glacés et des étés caniculaires avaient fait souffrir la statue qu'on descendit de son majestueux piédestal quand en 1940, la guerre devenant menaçante, il fut décidé de mettre la statue à l'abri. Elle n'est jamais remontée depuis, une copie en pierre d'Istrie ayant été réalisée en 1948 pour la remplacer.

TraMeZziniMag avait émis il y a quelques années l'hypothèse que le corps enseveli dans la basilique San Marco pourrait être la dépouille d'Alexandre le Grand plutôt que celle de l'évangéliste. Ce ne sont que des suppositions et une forte propension à l'uchronie qui nous firent publier cet article. Pour Théodore, saint byzantin et valeureux guerrier de légende, il ne s'agit que d'une représentation mais elle avait ses secrets elle aussi.


On raconte que Théodore, jeune soldat des armées romains qui, comme Georges, terrassa un dragon, ne cessait de proclamer l’Évangile en prêchant partout où il se trouvait. Arrêté, il refusa de renier sa foi qu'il ne cachait pas. Il fut condamné à mort pour oser ainsi à la volonté de l’empereur Dioclétien, refus d’obtempérer bien plus grave pour ceux qui le jugèrent que l'insistance avec laquelle il proclamait sa foi et son rejet des idoles païennes. Un soldat qui s'insurge ne peut rester impuni, la sédition cela fait désordre, tout le monde en conviendra. Il fut atrocement supplicié et rendit l'âme dans la sérénité la plus totale, c'est du moins ce que disent ses hagiographes qui en ont fait l'un des trois saints-martyrs des chrétiens orientaux avec Saint Georges donc et Saint Dimitri. La statue restaurée figure un soldat en uniforme, jeune et athlétique, solidement armé, au visage jeune, noble et altier. Les travaux de restauration, minutieusement menés pendant un peu moins d'un an révélèrent des éléments en partie connus depuis 1948 mais jamais prouvés parce que jamais étudiés de près. Le splendide Todaro vénitien s'est avéré extrêmement fragile et l'intervention des spécialistes fut particulièrement délicate.

En effet, il a fallu démonter chacune des pièces qui forment l’œuvre, consolider les morceaux en pierre ou en bronze fragilisés par les siècles, les nettoyer, reconstituer les manques et protéger le tout pour l'avenir. On a pu ainsi déterminer l'origine de la statue, ouvrage hybride, dont on ne saura jamais vraiment s'il existait tel quel à Byzance ou s'il fut assemblé tel que nous l'avons toujours vu pour les commanditaires vénitiens à Venise avant de devenir le portrait du premier saint protecteur de la ville. C'est en grande partie la nature de cet assemblage qui en faisait l'extrême fragilité : la tête, le buste, les jambes, les armes et le dragon qu'il piétine sont de provenance, d'époques et de matériaux différents.

La tête, probablement de l'époque constantinienne, bien que retravaillée plus tardivement, est taillé dans un marbre blanc qui provient des carrières de Docimium, non loin d'Afyon en Turquie occidentale, a pu être identifiée avec certitude, comme le portrait de Mitridate VI Euopator, le fameux roi du Pont qui tint en respect les légions romaines pendant des décennies jusqu'à sa mort en 63 avant notre ère. La ressemblance avec les monnaies frappées à son époque portent toutes le portrait du monarque ne laisse aucun doute sur l'identité du personnage. Elle a probablement était ramenée de Constantinople.

Le torse, décoré de victoires couronnant un trophée devait appartenir à la statue en gloire d'un empereur. Probablement Hadrien. Les jambes et les bras sont taillés dans un même marbre provenant de l'île de Proconnèse - appelée aussi Ile de Marmara, la plus grande de la mer éponyme - dont les carrières de marbre blanc veiné de bleu furent renommées dans l'Antiquité. Le dragon est taillé dans le même marbre. Le bouclier, plus récent, est en pierre d'Istrie. D'autres parties du corps ont été sculptées dans du marbre de Pentélie, ce gisement qui servit à construire l'Acropole et avec lequel fut bâti le Parthénon. Quant aux  armes et à l'auréole du saint, elles ont été réalisées dans un alliage de bronze typique de l'époque médiévale.

C'est donc un extraordinaire palimpseste de l'Histoire et de la culture  millénaires de Venise qui est ainsi remis en état, un exemple flagrant de ses capacités à synthétiser,  mélanger et optimiser les gens, les arts et les civilisations grâce auxquelles Venise a pu être ce qu'elle fut, méritant vraiment ses surnoms : la Dominante, la Sérénissime.

Mais, au-delà de l'importance historique et artistique de cette restauration, la manière dont elle a été organisée et menée à bien confirme, s'il en était besoin, l'extrême habileté et l'excellente organisation des services et des entreprises qui en sont à l'origine. C'est ce qu'a tenu à souligner Mariacristina Gribaudi, l'actuelle présidente de la Fondation des Musées Civiques de Venise, en expliquant combien le partenariat mis en place a parfaitement fonctionné, permettant un travail efficace et des délais courts. La société Rigoni di Asiago (avez-vous déjà goûté leurs produits ? Notamment les confitures et la crène de noisette bio ?), mécène officiel, a pleinement joué le jeu et dont les produits et la philosophie, le succès commercial, montrent le dynamisme des entreprises vénitiennes aujourd'hui reconnues au niveau international. "Une synergie vertueuse et un bénéfice réciproque."

La présidente de la Fondation des Musées Civiques et Andrea Rigoni, Administrateur délégué de Rigoni di Asiago

06 janvier 2017

Dans Venise la rouge, il y a toujours des choses qui bougent...

La nouvelle était tombée en mars 2015 et tous les défenseurs du patrimoine vénitien, les associations de protection de la ville soufflèrent : l'ex Teatro Italia, fleuron de l'art Liberty néo-gothique vénitien ne deviendrait jamais un énième supermarché. Du moins c'est ce qu'exprimaient les tenants de l'opération à la presse qui en fit ses gros titres. Tramezzinimag s'était réjoui alors de savoir ce local superbe, récemment encore utilisé par l'université de Venise comme salle de conférence et de cours magistraux, ancien théâtre et cinéma ayant fini sa carrière culturelle dans la catégorie à luce rossa (cinéma pornographique mais où fut diffusé aussi des films en première vision comme KingKong en 1976 et Batman en 1979). Protégé, le bâtiment construit dans les années 1910, ne pouvait être transformé, la façade, les fresques intérieures, l'organisation des salles, les ouvertures, tout devait demeurer comme l'avait conçu les architectes... Plus d'un an après le bâtiment a été restauré et rafraîchi. sa destination ? Un supermarché  !


Le 28 décembre dernier, tôt le matin - à huit heures exactement - devant l'ensemble du personnel et en présence de quelques riverains et de clients curieux, la cérémonie d'inauguration a été simple et discrète. Un ruban coupé, quelques mots et le supermarché le plus beau d'Italie venait officiellement d'ouvrir ses portes.



Quelle surprise, dès le hall, tout a été restauré, remis à neuf, la belle rampe de fer forgé, les plafonds et les parois à fresque, les moulures et les ouvertures de plus pur style Liberty comme l'aimait le début de XXe siècle.  Ce qu'on craignait à été soigneusement évité et il faut rendre hommage aux initiateurs du projet pour la qualité de l'aménagement et des restaurations. Le cahier des charges était clair : mettre en valeur et protéger la structure. C'est ce qui a été fait largement au-delà de toute attente.

C'est ainsi
qu'un joli mobilier en bois, de faible hauteur, offrant à la fois une praticité optimale pour les usagers et un positionnement qui permet de laisser libre à la vue - et permet d'admirer de partout - la structure historique et sa décoration parfaitement rénovée. 

Le respect très marqué pour les lieux par les commanditaires (une société immobilière de Piero Coin, proprtaire des murs et Despar) s'est ainsi concrétisé dans le choix de matériaux ayant un impact environnemental réduit : éclairage au LED installé directement sur le mobilier, pour ne pas endommager structure et fresques restaurées, récupération totale de la chaleur produite par les moteurs des comptoirs réfrigérés, du système de chauffage du bâtiment et de la production d'eau chaude des sanitaires, Système de traitement des vapeurs pour la suppression des odeurs et émissions de particules, portes sur les comptoirs et les vitrines pour réduire la consommation d'énergie et limiter la dispersion de la chaleur et d'humidité, dans le but de protéger les fameuses fresques et les gypseries du décor Liberty.

L'espace de vente proprement dit est de 580 m² où sont disponibles près de 8700 produits, presqu'exclusivement alimentaires. Le magasin dispose de 7 caisses dont 4 automatiques mais qui ont été conçues comme réversibles de façon à se transformer si besoin en caisses traditionnelles. 


Large plage horaire, de 8 heures à 21 heures, sept jours sur sept, et pour garantir la continuité du service tout en permettant au personnel de disposer de temps de repos suffisant, l'organigramme du supermarché est largement plus rempli qu'il ne l'est en général dans des magasins de taille identique : 41 personnes sont sur le site en permanence dont 35 pour qui il s'agit d'une premier emploi.


Tout a été pensé pour répondre aux exigences des vénitiens - le communiqué de presse précisant bien qu'on trouve au Despar Teatro Italia tout le nécessaire pour les courses au quotidien - autant qu'à celles des touristes, des gens qui viennent chaque jour travailler à Venise et des étudiants avec un grand choix de produits Take away. Un service de livraison à domicile va être mis en place. D'ores et déjà, il est possible de commander à l'avance des produits du rayon traiteur, pâtisserie et boulangerie. Si tout cela se déploie comme l'annoncent les dirigeants de SPAR, il n'y aura rien à redire et c'est bien.De plus, on ne peut qu'apprécier la teneur des propos du responsable de Despar Nordest, Marino Fineschi quand celui-ci souligne, je cite, combien l'entreprise est consciente que certains vénitiens auraient préféré une autre utilisation de l'ex-Teatro Italia : "Nous croyons cependant qu'en choisissant notre enseigne, les propriétaires du bâtiment s'est rapprochée d'un partenaire conscient du privilège de disposer un lieu aussi  exceptionnel - et des responsabilités qui en dérivent : nous prendrons soin du Teatro Italia !"


Une leçon pour l'ensemble des compagnies qui prennent à bras-le-corps tant de rénovations et réappropriation de lieux historiques publics ou privés.3 Montrer que la modernité peut aussi être au service des vénitiens et de leur ville et non pas à leur détriment. Quand, à Tramezzinimag, on vous dit que la particularité de Venise et ce depuis toujours, est et demeure l'innovation, l'exemple de cette restauration-mutation le prouve. Le problème n'étant pas dans la mise en place des bonnes idées et la volonté des rénovateurs en charge de projets commerciaux ou sociaux. L'imagination ni les idées ne manquent.

Ce qui pose problème - et question - c'est l'attentisme pathologique et la bêtise de beaucoup de responsables des organismes-clés de la ville et de sa région, leur goût pour le gain facile et leur complet désintérêt pour ce qui touche la sauvegarde de la vie à Venise. Tant que l'esprit de lucre, le manque de vision à long terme et la non-intégration en priorité dans les choix qui sont faits des besoins des habitants et que ne seront pas sanctuarisés sur l'ensemble du territoire de la commune et de la lagune le droit au logement, à la santé, à la disposition d'un cadre de vie normal pour les citadins, rien ne sera résolu et l'immigration des vénitiens vers la Terraferma continuera. Pas besoin d'être médecin pour savoir qu'une hémorragie non contenue finit par tuer le corps malade qui en souffre...