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17 mai 2021

A Bigger splash par Lisa Hilton

L'écrivain L
isa Hilton vient de publier dans la revue en ligne AirMail dans son numéro 96  récemment (en anglais) un excellent article sur un conflit qui oppose la municipalité et le maire aux propriétaires de certains grands palais sur le Canalazzo ou ailleurs dans la vie et qui ont trouvé avec la Biennale le moyen d'assurer l'entretien et parfois la restauration des bâtiments historiques dont ils ont la charge et qui ont pu jusqu'à ce jour rester propriété privée au lieu de devenir d'énièmes auberges de luxe ou pseudo luxe pour nouveaux riches russes et chinois, rois du pétrole et vieilles ex-starlettes du porno. 
 
En effet, l'administration n'entend pas se laisser concurrencer par les familles patriciennes dans la compétition pour les pavillons nationaux de la Biennale. La Municipalité dispose d'un patrimoine immobillier qui coûte une fortune et comme il est impossible de tout transformer en centre commercial de luxe ou en palace. 
 
Filippo Gaggia (Dir. Views on Venice Estates), Hughes Le Gallais (Ca' Del Duca) et Mario Donati (Palazzo Quarini-Vianello) .

Voici le lien de l'article pour ceux qui lisent l'anglais :  ICI

07 août 2020

Le problème récurrent de la modernité

Quinze ans. Chez l'homme, ces 5475 jours forment un temps d'adaptation et de croissance, où toute la machine humaine s'amplifie et prépare son déploiement, où les fondamentaux s'acquièrent et s'intensifient. La plupart du temps, pas de ratées, c'est d'une construction qu'il s'agit, et elle est faite pour durer. Avec la technique et particulièrement l'informatique, outil désormais obligé, on se rend compte qu'il n'en est pas ainsi. Hélas. Ma génération, née dans une période de prospérité retrouvée et appréciée, n'était entourée que d'outils solides et bien pensés, conçus pour durer, pour servir longtemps et jouer ainsi vraiment leur rôle d' “outil”. 

Quinze ans c'est aussi l'âge de ce blog, un terme qui sent déjà le démodé, le “has been”. 5475 jours plus tôt, le lecteur aimait découvrir de longs textes remplis d'informations originales, de réflexions et les commentaires sur les billets rédigés à la va-vite ou trop succincts se faisaient toujours critiques. C'est le contraire aujourd'hui, où il faut que tout aille vite et encore plus vite, l'homme n'a plus de temps à perdre (c'est surement pour ça qu'on remplace les hommes et les femmes par humains ou les individu-e-s (!!!!) de l'insupportable écriture que les modernes essaient d'imposer (c'est vrai que la discrimination homme/femme est une souffrance fondamentale voire vitale, l'horreur absolue, vous rendez-vous compte : montrer qu'on est homme et pas femme ou le contraire, berk ! Mais je me gausse et vais encore m'attirer des ennemi-e-s, dans cette période palpitante où l'on déboulonne des statues pour un rien...).

Mais revenons à notre propos. Tout s'accélère et en corollaire, rien de dure. Pire encore, rien de doit durer. Profit oblige. On modernise à tout va, on transforme, on prétend avancer et on sème le trouble dans nos cerveaux, pas du tout formatés pour cette précipitation et cette hystérie du changement 5.0. Cela pour dire ma colère devant une nouvelle attaque aux traces que toute création doit pouvoir laisser dans le temps. A une époque où on envoie dans l'espace des documents enregistrés dans un format que plus personne déjà ne peut lire faute des lecteurs adéquats - mais les extra-terrestres ont certainement des ouvre-boîtes plus perfectionnés que nous pauvres humains pas assez inventifs encore, on supprime sans vergogne des outils. pas un message pour nous prévenir. Du jour au lendemain, un outil disparaît et on n'a rien à dire. Aucun recours non plus. Il n'y a pas de respect de l'autre ni de démocratie avec internet. Cet outils qui devait être totalement gratuit et au service de tous est vite devenu un moyen supplémentaire de faire du fric tout en déployant une hypocrisie mortifère qui nous vient de la pudibonderie écœurante des américains et des fondamentalistes de tous poils, pour une fois alliés dans un même combat contre nos libertés. (Je vais encore me faire taper - virtuellement - sur les doigts, haha !).
 
Clin d’œil : Le Lion de saint Marc en temps de guerre : Livre fermé et épée brandie...
Cette fois, c'est le Livre d'Or, ajouté au menu de ce blog à la demande de lecteurs, en 2006. Il contenait des milliers de messages, la plupart du temps signés avec un lien vers l'adresse de leur auteur. Cela permettait à Tramezzinimag de rester en contact, de suivre les besoins et les demandes des gens, de connaître leur opinion et de se sentir soutenu. Une lectrice vient de m'informer par courriel (rappelons l'adresse la plus directe : tramezzinimag@yahoo.it et celle liée à Blogger : buderi@hotmail.com) que le site qui hébergeait notre livre d'or avait purement et simplement disparu Ont sombré avec lui ces milliers d'adresse et de messages, autant de souvenirs sympathiques engloutis. Cela fiche un coup au moral, ne trouvez-vous pas ? Nous cherchons donc un nouveau fournisseur. Blogger interrogé ne répond pas... 

En attendant, je vous invite, chers amis lecteurs qui m'avaient lu jusqu'à cette ligne, à prendre votre plume, par mail ou ci-dessous dans les commentaires, pour nous aider par vos amis, vos critiques, vos idées, vos demandes et vos besoins. D'avance merci et aussi, pardon pour vos messages engloutis avec notre cher livre d'or disparu !

03 juin 2020

Avec Francesco Guccini, un cri d'amour pour Venise

Mon frère ce matin m'a appelé juste pour m'inviter à allumer la radio et écouter sur France Culture une émission où on parlait de Venise. j'ai aussitôt pensé « quelle aubaine, il va peut-être, à l'écoute de ce qui va s'y dire, décider de venir me rendre visite avec ma belle-sœur ! » De toute la famille de votre serviteur, ils sont les seuls à n'être jamais repassés sur les bords de la lagune depuis quarante ans. Pourtant ils ont beaucoup voyagé... L'Europe, l'Inde, le Népal. Je n'étais pas chez moi et n'ai pu écouter le podcast  de l'émission qu'à l'instant. En voici une petite présentation qui s'inscrit naturellement dans l'esprit des billets que nous publions depuis quelques mois et qui veulent attirer l'attention des amoureux de Venise, des visiteurs curieux et des touristes au sens pur et profond du terme, sur la situation réelle de cette merveille du monde. Tramezzinimag a toujours développé l'idée de Venise comme modèle idéal et laboratoire pour le bon comme pour le mauvais. C'est hélas un angle de réflexion complètement en opposition avec la pensée dominante qui dirige les actions - et l'inaction - des élites en charge de la ville aujourd'hui et de son avenir. Ces apprentis sorciers après tout sont le modèle d'une pseudo élite ultra-libérale, parfois bouffie de relents libertariens, mais surtout avide de profits et adepte de la fuite en avant, cet "après nous le déluge" qui les caractérise tous depuis plus de cinquante ans, voire bien davantage...

Anthropocène, le virus de la dernière chance

Ce qui s'est dit sur France Culture qui concernait Venise n'avait pas vraiment de quoi encourager des militants écologistes de la première heure, qui vivent à la campagne depuis la naissance de leurs filles, sont quasiment autosuffisants, se sont éloignés de la ville par conviction philosophique et partageant avec beaucoup de gens de leur génération ce goût et ce bonheur de vivre au milieu de la nature, dans une qualité de vie exemplaire, sans pour cela avoir rejeté les (quelques) bienfaits des temps modernes. 

On entendait parler de Venise comme l'une des villes les plus polluées d'Italie, y sont évoquées l'ineptie des pouvoirs publics locaux parfois pire qu'ailleurs et les mille problématiques du tourisme de masse, etc, etc. Mais on y peut entendre aussi un échange très parlant sur cet amour unique que la sérénissime inspire aux cœurs purs. Ainsi, sa somptueuse histoire autant que ses histoires d'aujourd'hui ont été évoquées  par Chiara Barattucci, depuis Venise ou vit cette architecte qui enseigne à l'IUAV (Institut universitaire d'architecture de Venise) et à Milan et par le producteur de l'émission, le sympathique journaliste Florian Delorme, fin connaisseur de la ville. Il eut fallu une émission supplémentaire pour détailler les problématiques qui font peser sur la Sérénissime de lourdes menaces, à commencer par la pollution - chimique, sonore, touristique - mais aussi par sa dépopulation.


La partie concernant Venise dans l'émission Cultures Monde, que ce billet commente, est à la fin du podcast. Si vous avez le temps, Tramezzinimag vous conseille vivement l'écoute de l'émission dans son intégralité, vraiment intéressante et bien menée comme toujours par l'équipe de Florian Delorme, bien que la ligne éditoriale bien-pensante, genre prépa épreuves de Culture Générale à Sciences Po, ne soit pas toujours notre tasse de thé (vert, of course) :


Pendant ce temps, les vénitiens bougent. Manifestation spontanée des commerçants de la P (P pour Popolo), marche contre le port du masque et l'ineptie des mesures de distanciation sociale, pour une autre gestion du tourisme, pour redonner la possibilité aux vénitiens de se loger dans le centre historique, grogne pour limiter voire réduire les licences touristiques délivrées par le maire Brugnaro, le Trump local, et pour que soient interdites les locations touristiques de demeures privées de moins d'un mois, la protection de la lagune, la lutte contre le moto ondoso qui est revenu après le confinement qui avait vu les eaux de Venise s'éclaircir, l'air redevenir pur et le silence se répandre partout pour le bonheur des habitants qui retrouvèrent leur ville avec surprise et bonheur. Tramezzinimag reviendra sur tout cela dans les prochains billets. 

Illustrations des récents manifestations :






10 mars 2020

Io Sto a Casa, qu'en penser ?





Nota Bene :
Ce billet présente la vidéo d'un youtubeur un peu space qui explique à ses auditeurs pourquoi il faut rester chez soi et se soumettre aux restrictions imposées par le gouvernement pour lutter contre le coronavirus... La teneur de ses propos, présentés à titre d'information documentaire, est un appel au civisme. 
 
Adressé par des amis italiens, il nous a paru présenter la situation d'une manière intéressante au moment où l’État italien a demandé à la population de rester à la maison. Je ne connais pas ses propos habituels, ses orientations politiques ou philosophiques. Il appelle à limiter les déplacements, avec son langage de comptoir. Et implore les habitués de sa chaîne à respecter les mesures prises par le gouvernement
 
Diffuser cette vidéo n'engage bien entendu en rien le positionnement et l'opinion des animateurs de Tramezzinimag. Cela s'appelle de l'information et l'information ne prend pas position. 
 
Ce type qui ne parle d'habitude que de vapo, de cigarettes électroniques, a pris la peine de se fendre d'une vidéo qui défend la nécessité provisoire de rester chez soi. Si on le fait, ça passera vite et "tutto andrà bene !"  
 
Que peut-on trouver à redire ? 
 
 

08 juillet 2019

Cette fois encore, on n'est pas passé loin de la catastrophe !


Comment rester poli et mesuré devant les images publiées il y a quelques heures et qui montrent un de ces monstres marins qu'on persiste à appeler paquebots mais qui ne sont que des HLM de pseudo-luxes pour gogos incultes qui viennent "faire" Venise comme on fait caca, se répandent pour quelques heures dans la ville comme une diarrhée immonde et repartent sans avoir rien compris de la Sérénissime, sans même avoir contribué à l'économie locale puisque, hormis quelques fanfreluches fabriquées en Chine et une canette de Coca et des graines de maïs transgéniques pour nourrir les pigeons de San Marco sans comprendre pourquoi c'est interdit... 

Bref, avec le mauvais temps, un véritable déluge ce dimanche sur la lagune, et en dépit des trois remorqueurs, un monstre marin a littéralement frôlé la rive des Esclavons et des Sette Martiri, menaçant d'écraser un bateau et de démolir les quais de pierre. La tempête faisait rage, autre preuve de là où notre monde en est arrivé, toujours pour les mêmes raisons : l'appât du gain, le fric, le pèze, l'oseille et le pouvoir qui va avec. Le croisiériste Costa a de la chance. Il n'y a pas encore de morts, mais cela va venir et très vite. Pas besoin d'être devin, il suffit d'une mauvaise conjonction, non pas des astres, mais de la météo, des marées et du vent, de l'âge du capitaine et de l'humeur des vénitiens aussi. Car, se lèveront un jour des gens désespérés, déterminés qui s'en prendront aux passagers, aux marins sous-payés, aux vigiles, bref à tous et à n'importe qui. La violence se déchaînera. 

Ou bien, plus logiquement et mathématiquement plus plausible, une autre erreur de pilotage, un écran mal lu par un marin distrait, et ce sera le choc, le navire horrible, building de tôle et de verre plus haut que les palais qu'il nargue, avancera lentement vers la piazzetta, l'étrave pareille à des ciseaux, découpera le quai, les dalles de pierre et de marbre comme si elles étaient de papier, les colonnes s'écrouleront sur le pont du navire, la foule des croisiéristes, affolée hurlera sous la violence du choc, les débris de verre et les monceaux de pierres vénérables. La statue de San Todoro explosera au milieu de la salle à manger du navire, tuant des centaines de pauvres abrutis qui ne comprenaient pas l'hostilité des vénitiens quand ils passèrent devant le palais des doges. Les flots libérés pénètreront sur la piazzetta et une vague gigantesque ira se jeter contre les arcades de la Piazza, emportant tout sur leur passage, tables et chaises, touristes surpris par le raz de marée, les échafaudages s'écrouleront, la tour de l'horloge s'effondrera comme une partie de la basilique... Peut-être qu'à ce moment-là, devant les images des journaux télévisés de toute la planète, repris sur tous les médias sociaux instantanément, le monde s’émouvra de la situation et que les responsables politiques réagiront. 

Mais il sera trop tard. La Sérénissime aura reçu un coup fatal. Si l'accident reste isolé, si le temps n'est pas trop mauvais, elle sera peut être sauvée et pansera ses blessures, pleurera ses milliers de morts et se refera une beauté encore plus artificielle. Et l'exode des vénitiens reprendra de plus belle. Les touristes hésiteront à revenir, et le changement climatique achèvera de faire mourir la lagune sans laquelle la cité des doges ne saurait survivre. Les politiques à Rome et les affairistes de partout, flairant le filon, lèveront des fonds et détourneront une fois encore des milliards de dollars qui n'arriveront jamais jusqu'aux organisations qui œuvrent vraiment pour la Sauvegarde de Venise. Il ne parviendront à rien qu'à des malversations supplémentaires comme ils en ont l'habitude, mais un gigantesque complexe d'attraction verra enfin le jour face à la ville meurtrie. 

Disneyland nouveau genre qui attirera les gogos du monde entier acheminés à prix d'or... par maxi navi évidemment, et qui débarqueront au milieu d'une foule de déshérités et de migrants malades que l'Imperator Salvini aura abandonné à leur sort dans des îles abandonnées par les ultimes vénitiens, sans qu'aucun des multi-milliardaires qui tirent les ficelles du G20 ne se sentent en rien concernés ni le moins du monde responsables...  

Ironie et sourire (jaune). Colère surtout ! Qu'attendez-vous, Ragazzi, pour réagir avec détermination, force et violence s'il le faut et reprendre la destinée de la Sérénissime entre vos mains !


12 février 2019

La posture d'un dilettante : et si Venise bougeait vraiment ?



Plus de 23.000 étudiants suivent leurs études à Venise, Si quelques uns habitent dans leur famille, dans le centre historique ou sur la terraferma, la majorité vit dans des appartements exigus car les résidences universitaires ne sont pas assez nombreuses, le plus souvent mal logée, à plusieurs par chambre pour un loyer moyen de 400 euros le lit... Plusieurs milliers d'étrangers possèdent un appartement dans le centre historique ou bien le loue à l'année. Retraités, artistes, écrivains, mais aussi entrepreneurs et fonctionnaires ils vivent le même quotidien que les vénitiens, connaissent les mêmes difficultés, pâtissent des mêmes dysfonctionnements. Pourtant aucun d'eux n'a le statut de résident. Il faut montrer patte blanche pour cela. Réfléchissons à ce qui pourrait devenir la réalité de demain si les responsables de la cité prenaient à bras le corps la problématique du repeuplement en intégrant ces populations nouvelles...

Ces nouveaux résidents apporteraient leur vision de la situation, leurs témoignages, leurs idées aussi seraient d'une grande aide... et leurs voix au moment des élections et des décisions communautaires ! Prendre en considération leurs besoins autrement qu'en terme d'offre touristique temporaire obligerait à des mesures qui feraient peut-être grincer a l'inizio, mais finiraient par convaincre tout le monde. Une ville pour vivre n'a pas que besoin d'argent. elle a besoin d'enfants qui jouent sur les places, de vieillards qui les regardent, de commerces de proximité, de médecins, de crèches, de transports abordables et bien organisés. Quand la dynamique urbaine est relancée, stimulée, elle se déploie et s'initie une nouvelle prospérité. Il suffit d'avoir le courage de changer de paradigme et d'aller de l'avant, même en tâtonnant. Tout le monde au final est gagnant. Électeurs et élus. 

Après-midi studieux aux Crociferi, février 2019  © Lorenzo Cittone/Tramezzinimag 2019.

Mais qu'est-ce qu'un français d'origine vénitienne, même pas fonctionnaire international ou spécialiste des milieux et des politiques urbaines (quoique : mon DEA d'Administration et Vie Locale à Sciences Po abordait tout cela et Venise parfois était un exemple étudié, tant par l'extraordinaire propension à inventer et créer des réponses et des solutions à des situations inédites et souvent compliquées là où nos cités pataugeaient, au propre comme au figuré dans la boue, que par l'énormité des difficultés liées au monde moderne et au fait que Venise insula continuait de se sentir comme telle même avec cet appendice fatal qu'est le double pont, celui du chemin de fer et l'autre pour l'automobile)...

Que dire des Vu Cumpra, ces africains toujours souriants qui sont là parfois depuis des années et qu'on ostracise aujourd'hui, surtout s'ils ont le malheur d'être musulmans. Toute cette population pourrait s'adjoindre statistiquement aux 52.895 habitants officiellement reconnus du centre historique. On atteindrait alors plus de 80.000 habitants qui participeraient, par leurs impôts pour certains, par leur engagement à rendre la vie quotidienne plus belle et plus agréable, à redonner à la cité des doges une dynamique qui commence à sérieusement lui manquer. 

La Sérénissime a connu bien des déboires au cours de son existence. Les épidémies de peste ont emporté des dizaines de milliers de gens. Venise au Moyen-âge comptait déjà 100.000 habitants. Plus que Londres ou Paris à l'époque ! Il y a dans les Archives de la République un document très précis qui recense la population de la ville pour l'année 1586. Il est très intéressant en ce qu'il nous donne une idée de comment la société vénitienne était organisée à la fin du XVIe siècle :

Maggior Consiglio par Antonio Diziani
La ville comptait alors 148.000 habitants. Ce chiffre est d'autant plus édifiant pour ceux qui connaissent la structure de Venise. Bâtie à la fois sur des îles et sur pilotis, la superficie de l'agglomération était peu ou prou celle que nous connaissons aujourd'hui, voire même un peu plus petite.

Le recensement parle de 38.000 hommes, 40.000 femmes, 29.000 enfants de sexe masculin, 24.000 de sexe féminin, 3.860 serviteurs, 6.000 domestiques. La classification reste proche de celle établie du temps de l'administration impériale. (Les servi étant décomptés comme catégorie à part, peu ou prou comme on continuera de le faire pour les esclaves dans les colonies jusqu'au XIXe siècle).

6.039 nobles parmi lesquels 1.300 siégeaient au Maggior Consiglio, 7.600 citoyens, riches mais pas nobles - on ne parlait pas à Venise de bourgeois et 119.000 personnes formant le peuple. S'ajoutent 2.507 moines et 1.205 frères (il y a une nuance entre les dominicains et les carmes par exemple), 536 prêtres, 447 mendiants, 1.111 pauvres en hospice. Enfin, 1.694 juifs sont recensés, sans détail sur leur nationalité. 

Qu'il y ait eu  près de trois fois plus d'habitants qu'aujourd'hui donne à réfléchir. Venise rabaissée au rang de grosse ville de province (l'agglomération qui englobe la terraferma compte plus de 900.000 habitants dont le centre historique n'est administrativement qu'une zone urbaine parmi les autres).


Giuseppe Marchiori, Giovanni Comisso, Peggy Guggenheim, Emilio Vedova e Giuseppe Santomaso à Ca'Farsetti
Avec la bénédiction de l'élite intellectuelle de l'époque, Peggy Guggenheim fut fait citoyenne d'honneur (depuis, il y en a eu d'autres). Que dire de ces français (mais aussi des anglais, des allemands, des suisses ou des russes) qui vivent ici depuis longtemps pour certains d'entre eux, qui connaissent la ville parfois mieux qu'un vénitien de Mestre ou de Marghera, qui aiment la ville et qu'on croise tous les jours dans les rues, ne pourraient-ils pas eux aussi être citoyens à part entière ? Ils font beaucoup pour la ville et sont parfaitement intégrés... Leur intégration officielle au nombre des vénitiens ouvrirait de nouvelles opportunités. Bon nombre sont propriétaires et la plupart paient taxes et impôts à Venise. Plusieurs milliers d'autres vivent selon l'adage "When in Venice, live as venitians do"

Je ne me souviens pas des chiffres du temps où je faisais office de drogman au Palazzo Clari, à la grande époque de notre présence et de notre engagement sur la Lagune, mais nous étions nombreux déjà et parmi nous, pas des moindres, d'anciens ambassadeurs, des académiciens et bien sûr l'ombre protectrice et discrète du président François Mitterrand qui vivait ici un secret d’État, secret de Polichinelle que chacun respectait. Le français était encore la langue de l'élite et la première langue enseignée dans les établissements secondaires. L'Alliance Française avec sa présidente de l'époque, Madame Couvreux-Roché contribuait au rayonnement culturel de la France. La Mostra du Cinéma était francophile autant que francophone, sous la houlette de Daniel Toscan du Plantier, d'Unifrance et de Jack Lang. Il y avait toujours de l'argent pour soutenir ces initiatives,  car ceux qui gouvernaient connaissaient le poids et l'importance de la culture, du savoir, de l'esthétique et des bonnes relations entre les deux peuples cousins... 

Mais les temps ont changé. Il faut beaucoup d'énergie, la science des réseaux bien assimilée, et de la débrouillardise, pour continuer à défendre notre présence et notre langue.  L'Alliance Française dont l'équipe se démène pour proposer, outre les cours de français, des expositions, des lectures, des projections et des rencontres passionnantes, ne survit qu'avec l'aide de ses mécènes et la contribution des adhérents ; les locaux du consulat avec le joli jardin (qui pourrait devenir un lieu délicieux pour des concerts ou des lectures à la belle saison) est menacé. Aucun subside pour la représentation sinon les recettes des actes d'état-civil... Le gouvernement actuel trouvant le loyer trop cher, souhaiterait réduire sa dotation. La somme tolérée correspond pourtant à peine à ce que dépense un étudiant pour un studio où il vit seul... On est en train de tomber très bas tout de même, ne trouvez-vous pas ?  

La représentation diplomatique, qui n'est plus seulement aujourd'hui qu'honoraire, si elle échoit encore à des français vivant à Venise sera proposée un jour, comme c'est déjà le cas pour de nombreux pays, à un chef d'entreprise ou un commerçant du cru. Pourquoi pas me direz-vous, c'est l'air du temps ? Mais devra-t-il comme le doge se devait de le faire, puiser dans sa fortune personnelle pour entretenir un semblant de palais, pour recevoir dignement et donner une image de la France autre que celle orchestrée dans les médias par le gouvernement italien actuel dans sa guéguerre contre la France. On ne sait plus le français parmi les adolescents, j'en fais le constat tous les jours sur les campi, dans les bars... L'anglais est partout et bientôt le chinois, le russe. 

Je me souviens de ces discussions quand j'étais étudiant avec des amis vénitiens, plusieurs authentiques Nobile Huomini descendants des plus grandes familles, dans un sabir mêlant le vénitien, l'italien et le français. C'était l'époque ou Mc Donald's ne satisfaisait que les touristes de passage et qui changeait de place sans cesse (à Santo Stefano là où se trouve maintenant la pharmacie, sur la Salizzada du Fondego dei Tedeschi, puis au pied du pont du Rialto...) et les hordes de touristes disparaissaient de novembre à mai, au pointe que l'assessorat au tourisme avait inventé "Venezia d'Inverno" (aka "Venise en Hiver", "Venice in Winter") qui proposait des remises substantielles dans les hôtels de luxe (à l'époque les palaces de la Ciga Hotels notamment), des concerts-cocktails ou des goûters au  palazzo Mocenigo pas encore devenu un musée, et mille autres choses pour attirer les visiteurs pendant la saison creuse...

Mais on va encore m'accuser de regarder en arrière avec nostalgie et regrets. J'essaie seulement de rappeler ce qui fut pour ceux qui n'ayant pas connu cette époque pourraient s'imaginer que tout a été comme il est maintenant. Ce n'était pas forcément mieux, mais la civilisation respirait encore sans assistance artificielle...


18 mars 2018

Et si montrer le beau devenait criminel ?

Portrait de Mila Esmeralda née à Venise, le  20/10/2012. © gruppo 25 aprile.

30 millions de touristes par an à Venise, cela fait un peu plus de 558 visiteurs pour un habitant (si nous nous en tenons au chiffre déjà dépassé de 53. 672 habitants rescapés de la grande hémorragie vers la terraferma). Imaginons la scène, cauchemardesque, de 535 personnes qui envahissent le salon de cette vieille dame, le chat effrayé qui se jette par la fenêtre dans l'eau du canal voisin, la pauvre vénitienne qui suffoque et les touristes qui braillent, remuent dans tous les sens, laissent papiers gras et canettes vides sur les napperons en dentelle... Pire encore, pensez à un vaporetto un matin avec seulement quatre passagers et soudain arrivent en se bousculant  2.140 touristes armés de leur sac à dos et de leurs téléphones fixés sur les perches que leur ont vendu les vendeurs clandestins, habiles et souples bengalis qui eux aussi dont tendance à se démultiplier ces dernières années partout dans le centro storico (on en recensait 2379 en 2014 . L'enfer de Dante en pire....

Alors est-ce bien raisonnable de continuer de diffuser des images de Venise ? Est-ce encore légitime de montrer la beauté de la Sérénissime et d'encourager les barbares à poursuivre leur invasion ? La beauté est à tout le monde, et voyager est un droit qu'on ne peut réserver à quelques uns mais peut-on laisser les hordes se démultiplier et emporter sur leur passage toute vie réelle sur les sites qu'elles piétinent chaque jour sans plus jamais de véritable interruption ? C'est un vrai questionnement. Fondamental aussi, car il s'agit désormais de la mise à mort quasi certaine d'une univers de vie, d'un monde qu'on étouffe sans rien faire d'autre que se lamenter ou réunir des colloques et des commissions qui pérorent sans que ne jaillissent les solutions pour éviter cette catastrophe humanitaire que personne ne semble prendre vraiment au sérieux. Jamais dans l'histoire de la Sérénissime, le niveau d'habitants aura été si bas. même après les grandes épidémies de peste. 

Bien sur, on insiste sur la nécessité de considérer la population vénitienne dans son ensemble, c'est à dire celle de l'agglomération entière avec les alentours du mainland. Cela peut leurrer et rassurer de savoir que la métropole vénitienne voit sa population augmenter avec l'apport de nombreux étrangers. Cela revient à réduire le centre historique, Venise elle-même, celle qu'on vient voir de partout, l'ancienne capitale d'une des plus puissantes et riches républiques de l'histoire, vaste empire commercial, démocratie quand partout ailleurs les peuples étaient écrasés par la féodalité et les monarchies absolues, incroyable fourmilière innovante et active, à un quartier périphérique d'un centre urbain qu'on voudrait semblable à toutes les mégalopoles modernes existantes ou en devenir. 

Il y a parmi les édiles, des excités qui rêvent de métro souterrain, de gratte-ciels, d'exposition universelle et aspirent à une croissance exponentielle du tourisme, juteux pourvoyeur de devises pour certaines entreprises internationales, sans retombées sur les petites activités locales et donc sur les habitants. Mais à entendre certains experts, le dernier vénitien aura quitté sa ville, la vraie, la Sérénissime toujours dressée deux mille ans ou presque après sa fondation, en 2059... Il quittera le centro storico avec sa valise et le regard qu'il jettera sur la ville vide de vénitiens sera un regard de colère et de haine. 


La question est donc pertinente : montrer ce qu'il y a de beau devient dangereux à partir du moment où donner à voir un lieu, qu'il soit célèbre ou méconnu, recommander une bonne adresse, fournir des idées d'itinéraires et publier des guides alléchants, répandre des photographies et des vidéos des sites touristiques, tout cela revient à condamner à terme l'authenticité, la vie, l'existence même de ce qu'on donne à voir. Cas de conscience donc. Je ne prétends pas qu'il faille entraîner un corps de mercenaires qu'on munirait de lanternes,  corps moderne de codega dont on dit que parfois, payés au prix fort, ils induisaient en erreur (fatale) leurs clients avec leurs lanternes pour les faire tomber dans les eaux glacées des canaux, pas plus que former le personnel de l'ACTV au kamikaze et leur enseigner à faire sombrer leurs vaporetti, modernes bétaillères aquatiques remplis de veaux hagards, aux heures de pointe avec leur chargement... Ma colère m'égare mais les amoureux de Venise savent de quoi je parle, qui connaissent sa fragilité et répugnent à la voir se transformer jour après jour en parc d'attractions, avec de plus en plus de boutiques pour touristes ne vendant que de la pacotille qui jaillissent à la place des commerces de nécessité et les maisons qui se vident, les volets tirés sur des foyers abandonnés que remplacent peu à peu partout des logements pour touristes, des hôtels de luxe et des B&B. Il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir et comment rester indifférents à cette chronique de mort annoncée ?


Les autorités, timidement, se rangent aussi à l'avis des experts du monde entier. Conscients du danger imminent, ils proposent quelques vagues solutions annoncées tambour battant mais bien vite oubliées. Combien de projets enterrés qui pourtant seraient autant d'amorces de solutions. En revanche les modernistes utopistes continuent d'avancer avec leurs projets pharaoniques. Comme par exemple, après le M.O.S.E. qui a permis d'absorber des milliards de capitaux et ne servira certainement pas à grand chose quand la calotte glaciaire aura fini de fondre, l'idée de la sublagunare jamais vraiment abandonnée, aussi folle que l'exposition universelle rêvée par le ministre De Michelis dans les années 80 ou le gratte-ciel phallique d'un Cardin cacochyme mégalo...

On parle de tourisme alternatif en haut lieu, on publie plaquettes et plans avec des itinéraires différents qui partent de Chioggia ou de Caorle, on invoque le soutenable et la décroissance, on propose - sérieusement - des virées à la découverte de l'archéologie industrielle, on dresse des listes de commerçants, restaurants, hôtels et campings affiliés au mouvement Slow Food, on lave vert autant qu'on peut avec  le projet lagunaè, initié en 2014 en vue de l'exposition universelle de Milan (Venice to expo 2015) par l'EBT (Ente Bilaterale Turismo de la Province de Venise, structure créée en 1991 avec pour mission la formation et l'accompagnement des acteurs du tourisme local), une de ces organisations dévoreuses d'argent et de papier glacé qui font grand bruit puis disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues comme dans les films prophétiques de Dino Risi ou de Vittorio De Sica... Deux terribles décennies de berlusconisme ont montré toutes les conséquences de la primauté de l’argent et Venise a été très vite contaminée... Alors, que faire ???


21 février 2018

Projection publique : The Venetian Dilemma

Réalisé en 2004, un documentaire présentait au monde une image inédite de Venise face à un tourisme de masse dont la croissance exponentielle n'échappait déjà à personne. Il y avait les gens avisés qui mettaient face à face la diminution de plus en plus rapide de la population vivant dans le centre historique et les affairistes au pouvoir qui prétendaient moderniser la ville pour la redynamiser et la faire entrer dans le monde de demain. 

C'est l'époque où on parlait d'un métro souterrain pour permettre une liaison entre l'aéroport et l'Arsenal en 7 minutes, mettant Venise à 80 minutes de Paris par exemple. Les élus qui se frottaient d'avance les mains parlaient de 5.000 créations d'emploi dans des secteurs de pointe. L'époque où la municipalité, alors propriétaire des 2/3 du parc immobilier du centre historique, s'empressait, quand des locataires âgés quittaient leur logement, de faire briser à coup de masse les tuyauteries et les installations sanitaires pour éviter que ces appartements soient occupés. C'est l'époque où commencèrent les autorisations de transfert d'usage des bâtiments historiques, l'époque où de nombreux propriétaires cédèrent à prix d'or leur demeure familiale pour en faire des hôtels. où partout fleurissaient des échafaudages. Partout on rénovait, nettoyait, aménageait mais tous ces bâtiments restaient vides quand des centaines de famille réclamaient un logement décent pour continuer à vivre chez eux. C'est l'époque où les commerces de proximité, boulangeries, épiceries, boucheries, se transformaient les uns après les autres en bars et en restaurants, puis en commerce de masques, rarement tenus par leurs propriétaires. Pourtant les chinois et les bengalis n'étaient pas encore là... 



"Mais qui se nourrit de masque ?" disait avec humour un artisan citant Paolini... Les équipes municipales qui se succédèrent des années 80 à ces années-là eurent toutes la même vision à court terme : faire rentrer de l'argent, développer des projets grandioses pour alimenter les caisses de leurs partis quand il ne s'agissait pas simplement de se remplir les poches. Des voix s'élevaient déjà un peu partout, pleines de bon sens et argumentées qui ont pris de l'ampleur depuis. Tout ce qui se disait devant la caméra de Carole et Richard Rifkind s'est avéré vrai. Mis à part la metropolitana à laquelle nous avons échappé jusqu'ici (mais comme le dit avec un sourire diabolique Roberto d'Agostino, son plus ardent défenseur dans le film "cela se fera un jour inévitablement"). 

Il est difficile de comprendre cet acharnement qui se développe depuis les années 07 partout dans le monde pour détruire, bousculer, modifier au nom d'un mirifique sens du progrès qui serait porteur de tous les bonheurs à venir. Pourquoi l'homme moderne cherche-t-il désormais à tout détruire ? Est-ce inconsciemment pour éviter d'attendre que la nature elle-même se lance dans un grand nettoyage final et définitif ? A la base de toutes ces inepties sur le progrès et la croissance, il y a un seul mot : le profit. Qu'importent les conséquences, il faut à tout prix s'enrichir et tant pis si cela conduit à la destruction de la nature, à l'exil de milliers de gens, à la disparition d'un monde légué par nos anciens qu'ils savaient gérer avec sagesse. 

On l'entend aussi dans le film : Venise n'est pas une ville comme les autres. Construite sur l'eau, avec l'eau, elle impose un rythme urbain totalement différent du rythme des autres villes modernes. On ne peut y intégrer la notion de vitesse car la vitesse désagrège la ville avec le moto ondoso qu'on commençait à pénaliser. Les jeunes parents luttaient pour la création de crèches et de garderie, les commerçants luttaient pour conserver leurs stands sur les campi et éviter qu'ils ne soient transformés en stands de fast food pour touristes.


Le film, qui se contente de montrer sans aucun commentaire, mais visiblement avec une grande empathie pour les vénitiens et pour la ville, s'il éveille la conscience du spectateur et l'aide à se ranger du côté des habitants, se termine sur une note d'espoir. On assiste même, et c'est un bien joli symbole, à la naissance - par césarienne - d'un petit vénitien... Et puis, comme souvent à Venise, tout finit à l'heure du spritz avec une chanson reprise à la cantonade :  
Tutto è cambiato ormai,
Venezia no, Venezia no non cambia mai.  
Cambiano le città, Venezia no,
Venezia no non cambierà...

20 décembre 2017

Un affreux cauchemar...


L'autre nuit, après un dîner trop copieux et une longue discussion avec d'autres féals, afficionados de Venise, j'ai fait un cauchemar. Un de ces songes odieux qui vous réveille au milieu de la nuit, suant et transpirant, les cheveux dressés sur la tête. Je venais d'apprendre horrifié qu'une municipalité devenue hystérique avait transformé d'un coup de baguette magique la cité des doges en un monopoly géant. Laissez-moi le partager avec vous. Comme un remède réconfortant.

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Un être hybride que je reconnus être le maire grâce à son couvre-chef hybride, à la fois corno du doge et haut de forme des banquiers d'avant la crise de 29, sur lequel on lisait le mot  SINDACO en lettre d'or, occupait tout mon champ de vision. Cette énorme créature avait parfois le visage de Trump puis celui de Berlusconi, mais toujours avec mèche et moustache à la Adolf et une grimace à la Mussolini, fumait un énorme cigare. Il trônait, assis dans le plus simple appareil à califourchon sur une barrique que des nains vêtus comme des gondoliers, tous aussi laids que lui s'efforçaient d'éventrer pour en faire jaillir des pièces de monnaie, La population était dans des sortes de cage et tendait la main en dehors des grilles pour quémander je ne sais quoi. Tous hurlaient. 

© Ludovico de Luigi
Le sol était couvert d'un tapis n'en finissant plus de de se dérouler, recouvrant à la vitesse de la marée les masegne des calle et des campi avec des cases imprimées comme au Monopoly. Tous ceux qui s'opposaient à la progression du tapis sur lequel avançait le cortège du maire suivi d'une foule de types en redingote noire et hauts de forme les poches débordant de billets de banque de toutes les couleurs. En décor de fond, se mêlant aux façades des palais du grand canal et des monuments que je voyais défiler, s'écrouler, se redresser, des montagnes de détritus avec à leur sommet les Pink Floyd et des diables qui ricanaient. Comme à mon habitude j'évitais les voies prises par les touristes pour aller mon chemin. Je devais me rendre chez des amis apparemment. Arrivé devant leur porte je tombais nez à nez avec le maire habillé en groom. Le palazzo était devenu une auberge de luxe. Aux fenêtres d'horribles vieilles édentées montraient leur poitrine siliconée en ricanant. Je me retrouvais devant Rosa Salva devenu un Burger King observant les frères dominicains d'en face que rudoyaient des policiers habillés comme les moudjahidines de Daech vers la basilique transformée en mosquée. Des livres et des tableaux brulaient au pied du Colleone.
J'avais faim, un passant édenté me recommanda le fast food : "ils donnent les restes aux résidents, vas y tu pourras trouver de quoi manger". J'allais pieds nus, comme les vénitiens que je croisais. partout des papiers de couleurs tombaient du ciel avec une seule inscription "Voglio vivere al paese". Et soudain un énorme flux de touristes déboula, emportant tout sur son passage. Je me réveillais au moment où un cri affreux emplissait l'air "le Mose, il a cédé, les touristes vont nous noyer !" Affreux, mais authentique, j'en étais retourné comme un gosse qui a vu de le diable dans son sommeil. Des hordes de touristes déboulèrent dans un grondement assourdissant, celui de centaines de milliers de valises à roulettes...


La bonne chère, les bons vins et nos débats de la veille sur comment faire pour sauver Venise mais aussi les autres métropoles menacées par le tourisme Unesco et la spéculation immobilière, comment lutter contre les puissances financières qui ne songent qu'au profits immédiats et se battent le coquillard de l'impact sur la nature, sur l'avenir des générations futures, sur la protection de la faune,d e la flore, des savoirs ancestraux, de la vie tout simplement... Ceux qui sont régulièrement à Venise le savent bien, le tourisme de masse, ces foules qui viennent à Venise sans vraiment savoir où ils vont ni pourquoi ils y vont, détruit peu à peu le tissu social traditionnel et emporte au passage les outils de la vie quotidienne. 

© Ludovico de Luigi
Plus assez de logements, plus de commerces de proximité, de moins en moins d'école et de services de soin et d'aide, de plus en plus de bâtiments publics cédés à des grosses compagnies pour en faire des résidences de luxe ou des hôtels... J'en passe. Certains des convives du fameux dîner prônaient la mise en place d'un numerus clausus. Les moins concernés disaient qu'augmenter fortement la taxe de séjour et limiter avec des contrôles draconiens la location de chambres et d'appartements aux touristes étaient la solution, d'autres proposaient de clôturer l'area marciana (la piazza, la basilique et le palais des doges) et d'y regrouper les boutiques de colifichets pour les touristes qu'on organiserait par strates, des basiques aux objets de grand luxe, et de mettre en place un accès payant et limité par jour. d'autres inventaient déjà un Veniceland à côté sur la terre ferme ou sur l'Adriatique, qui reprendrait les lieux phares en fac-similé : les campaniles, les palais les plus célèbres et y mêlerait un centre commercial comme on en voit surgir partout avec les mêmes enseignes, les mêmes estaminets, en soignant le côté couleur locale. Un fac-similé comme pour les grottes de Lacaux... R., le plus pessimiste annonçait avoir mis sa maison familiale en vente pour une somme rondelette, préférant acheter un studio en montagne, un appartement en bord de mer et une maison sur la terre ferme et offrir à ses deux enfants des études à l'étranger... "De toute façon nos enfants ne resteront pas. Il n'y a aucun avenir pour eux sauf à renoncer à vivre bien ou faire le gondolier, le serveur ou la femme de chambre" renchérit sa femme...
Rappelez vous la sombre prédiction d'Otto de Habsbourg que je cite souvent : "Prenons garde de ne pas laisser venir un monde qui feraient de nos enfants les garçons de café des touristes des grandes puissances" Combien il avait raison. c'est lui aussi qui décrivait, horrifié, la désertification des centres urbains historiques. "Voyez, nous disait-il, les magasins disparaissent les uns après les autres et bientôt il y aura partout à leur place des garages, des logements, des banques" prophétisait-il. Partout le libéralisme a grignoté la vie quotidienne, les moins bien lotis financièrement ont été chassés vers les périphéries et peu à peu on a ainsi tué les villes... La prolifération des tags et autres graffitis dans les rues de Venise n'est qu'une anticipation de ce que le centre historique est en train de devenir : un désert. Paradoxe bien triste, ce désert est parcouru chaque année par près de 30.000.000 d'individus qui piétinent en masse des lieux-symbole connus du monde entier : le pont Rialto, la piazza, la Riva dei Schiavoni devant le pont des Soupirs... San Marco est le sestiere de Venise où il y a désormais le moins de résidents... On parle depuis des années de permettre à ce tourisme de masse, ces hordes de barbares dont nous parlons depuis plus de trente ans de se répandre partout dans la ville, dans le but d'éviter l'étranglement du centre historique mais dont on sait bien que la vraie conséquence, loin de contenir le nombre de visiteurs, permettrait de l'accroître encore davantage, ne laissant bientôt plus un m² disponible pour la vie quotidienne de ses habitants, contraints de partir ou de résister... 


"Marinello chiude".
Ce furent les premières paroles que prononça un ancien voisin du temps où j'habitais Cannaregio, calle del'Aseo précisément. Marinello, c'est une institution. LE marchand de chaussures du quartier et d'au-delà. Installé juste à la fin de la guerre, le magasin fait partie depuis toujours du paysage commercial de Cannaregio. Au moment où j'écris ces lignes, je devrais mettre cela au passé car Marinello vient de fermer ses portes après plusieurs semaines de liquidation. Je venais juste de rentrer. Après quelques semaines en août avec ma fille et son ami, j'avais laissé Venise infestée de touristes juste avant la Mostra du Cinéma. Il y avait bien ces affichettes annonçant des soldes , mais je n'y avais prêté aucune attention. En novembre, c'était devenu notoire : le magasin allait fermer ses portes à jamais.Un de plus qui serait transformé en boutique pour touristes ou en restaurant...
J'avais connu le même choc il y a quelques années quand Petenello, le magasin de jouets et autres articles du campo Santa Margherita avait baissé son rideau. Un vrai chagrin tant ses vitrines remplies de jouets en bois, de petits objets adorés par les enfants, était une des composantes du campo. Ses rayons remplis de boîtes aux trésors et le vieux comptoir débordant de babioles où j'aimais farfouiller depuis toujours allait me manquer... Comme Petenello, j'ai toujours connu Marinello. Comme le marchand d'estampes près du Goldoni, le vendeurs de livres anciens sur le campo Santi Apostoli, et tel boulanger, tel charcutier, tel marchand de fruits, la minuscule rôtisserie près du Ghetto où certains jours les volailles à peine livrées attendaient leur triste sort dans des cages de bois sur le sol de la calle. Le seul endroit à l'époque où on trouvait des frites (maison) à emporter pour accompagner les poulets rôtis.
Installé par Bruno Marinello en 1946 à côté du Teatro Italia (transformé depuis peu en supermarché), après des années de chalandage à deux pas de là, avec son  Banco del Popolo sur le Rio Terà San Leonardo, le magasin devint vite une affaire familiale. Chaque jour après l'école, Bruno initiait ses deux fils Paolo et Robert qui reprirent l'entreprise après la disparition du fondateur. Le commerce devint vite prospère, surtout à partir des années 80 quand le magasin se modernisa et s'agrandit. Tout le quartier venait s'y chausser. Amateur de football et de basket, il fut le premier à proposer un choix complet de chaussures de sports. Il fallait monter à l'étage pour trouver le modèle convoité et toute la jeunesse sportive des environs grimpa un jour ou l'autre l'escalier du magasin. Ah les chaussures de foot de Marinello ! Le négoce devint vite le fournisseur des clubs sportifs du quartier, notamment l'Alvisiana de San Girolamo. Même le curé de la paroisse portait des tennis de chez Marinello sous sa soutane. Comme nombre de ses collègues d'alors, il n'hésitait pas à participer aux parties de foot ou de basket dans la cour du presbytère. Il suffirait d'interroger les gens de ma génération pour confirmer combien ce magasin était un passage obligé pour tous les garçons de Cannaregio et au-delà. Le nouveau tourisme a eu raison de l'affaire. La concurrence des magasins chinois, les franchises des grandes marques internationales, les centres commerciaux de la périphérie, tout cela mis ensemble a poussé les frères Marinello à prendre leur retraite. 
Renseignement pris auprès de Mattio, le fils de Paolo Marinello, il y aura un restaurant à la place des chaussures. Sic transit gloria mundi.

23 juillet 2017

Plongeon interdit dans le grand canal : encore des touristes qui violent les règles à Venise

Une fois encore, et pas plus tard que ce matin aux alentours de 6 heures, de jeunes touristes étrangers ( ressortissants belges) ont montré leur méconnaissance  des us et coutumes de la cité des doges. Surpris par la police qui a été prévenue par des passants, un groupe de jeunes gens avait entrepris de plonger depuis le pont de Calatravà qui unit la Piazzale Roma à la gare Santa Lucia. Un  des endroits les plus dangereux ( par sa hauteur et la fréquence des bateaux qui passent par là). Aussitôt interpelés par les forces de l'ordre, ces jeunes abrutis semblaient ne pas comprendre ce qu'il y avait de répréhensible - et encore moins de dangereux - à se jeter dans l'eau du grand canal !  

S'il est vrai que de tout temps, les eaux de la Sérénissime ont attiré les voyageurs, si les enfants se baignaient l'été devant la porte de leur maison, si Byron allait parfois rendre visite à ses amies à la nage, le contexte était différent. Mais comment les étrangers de passage, écrasés par la chaleur et qui confondent facilement Venise avec n'importe quelle cité balnéaire, ne seraient pas tentés de se rafraîchir dans ces eaux bien attirantes ? L'absence ou le manque de bancs et de toilettes, de corbeilles et de poubelles, et avant tout de panneaux précisant ce qui est interdit et ce qui est autorisé, rendent les choses difficiles. Souvenez-vous l'argument de ce touriste allemand ou hollandais qui, interpelé par la police parce qu'il circulait en vélo sur la Lista di Spagna, a r2torqué aux policiers "Mais montrez-moi les panneaux qui indiquent que la circulation des deux roues est interdite ?". Logique non ? Si nul n'est censé ignorer la loi, cette règle vaut-elle pour des étrangers arrivant à Venise. Il faut un minimum de culture et d'éducation pour saisir qu'il ne s'agit pas d'une ville comme les autres et que donc, on ne peut y déambuler ni y vivre comme ailleurs. Longtemps, les vénitiens tentaient d'expliquer cela à leurs hôtes. Devant le développement massif de l'invasion touristique et la croissance de la mauvaise éducation, ils ont le plus souvent baissé les bras...

Cet incident suscite une fois encore la polémique. Le maire Luigi Brugnaro, a aussitôt réclamé une "loi spéciale' qui autoriserait une garde à vue d'au moins une nuit pour les jeunes vandales pris en flagrant délit qui sévissent dans Venise (les infractions sont nombreuses, comme par exemple les tags, les tenues inadéquates, le camping sauvage dans les rues, ou comme ici plongeon et la baignade dans les eaux de la lagune), certains réclament même le bannissement des indélicats et une interdiction de séjourner de nouveau dans la ville ! D'autres voudraient que soient installées des caméras de surveillance partout... Sans tomber dans l'excès, il est évident que des mesures s'imposent mais ne doivent-elles pas porter davantage sur la prévention et l'éducation des visiteurs ?


Ce qui est terrible c'est que devant la croissance incontrôlée du flux touristique des incidents comme celui de ce matin risquent de se produire de plus en plus souvent et nécessiteront de nombreuses interventions de la police ou des pompiers. Les jeunes belges qui se sont jetés dans le grand canal ne réalisaient pas le danger. Si autrefois les jeunes vénitiens, pour se faire admirer des filles et gagner quelques pièces, longeaient souvent dans les canaux, si on laissait les enfants barboter l'été dans les quartiers retirés, si souvent - j'en étais - des jeunes organisaient un bain de minuit du côté des Fondamente Nuove ou de la Giudecca, la situation n'était pas la même. L'eau ne contenait pas toutes les saletés qui en font un poison dangereux et la circulation maritime était bien moindre, avec des embarcations lentes et menées à l'aviron... Les temps changent et la vingtaine de millions de visiteurs annuels face à une population réduite au chiffre le plus bas de son histoire pose un problème d'organisation compliqué. 

TraMeZziniMag depuis sa création défend l'idée d'une prise en main du flux touristique, de la mise en place de règles claires qu'il faudra médiatiser et en même temps la prise de conscience par les autorités d'une réflexion à long terme pour que la ville redevienne un lieu de vie quotidienne pour ses habitants, et non pas une réserve visitée par des millions de curieux à qui on oublie de dire que Venise n'est ni un musée ni un parc d'attractions. Non messieurs-dames, il n'y a pas d'horaires d'ouverture et de fermeture, mais en revanche, il existe des règles dont la plupart découlent du simple bon sens, de l'éducation et du respect des autres.