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30 mars 2023

Orafi, argentieri, les maîtres vénitiens de Sant'Antonio


En passant l'autre jour devant l'église San Salvador, perdu dans mes rêveries
comme souvent, j'ai soudain vu, comme sur un film qui aurait été projeté dans l'air, une scène de l'ancienne Venise... A la place des hordes de touristes qui se bousculaient, les uns pour rejoindre San Marco qui est à deux pas, les autres pour regagner la Stazione avec leurs épouvantables valises à roulettes, se déroulait devant mes yeux une procession d'un tout autre ordre.

Il y avait des pages en vêtements chamarrés, des trompettes et des fifres, des provéditeurs et autres hauts fonctionnaires de rouge vêtus, qui précédaient le doge qu'un gonfalon doré protégeait du soleil déjà chaud de ce matin de mai... La foule applaudissait, tous ces personnages gonflés de leur importance passaient devant moi et l'image se mélangeait à celle du campo plein de touristes. J'ai entendu tellement de fois le récit de ces grandes cérémonies que la République prenait grand soin à organiser, que tout se mêlait dans ma tête pendant que je marchais pour rejoindre des amis qui m'attendaient non loin de là. Des hommes vêtus de couleur sombre portaient sur une civière dorée la statue de Saint Antoine, d'autres tenaient des coussins de velours sur lesquels on avait posé de splendides objets d'or et d'argent, calices, reliquaires, coupes et autres pièces incroyablement belles.

Tout ce petit monde se rendait dans l'église. Mais quel était donc l'objet de cette cérémonie ? Sant' Antonio Abate était le patron des orfèvres, mais leur scuola était au Rialto, là-même où la plupart avaient leur boutique et leurs ateliers. J'avais souvent montré quand je guidais les hôtes illustres du Palais Clari - la légation de France - l'immeuble qui abritait l'auberge de la confrérie avec le portone où on peut toujours voir les initiales S O en fer forgé pour Schola dei Oresi. Ils avaient leur chapelle dédiée dans l'antique église S. Giacomo di Rialto, à gauche de l'autel central, avec un magnifique statue du saint entre deux anges portant sa mitre, réalisée par Girolamo Campagna
 
Je cherchais à comprendre d'où surgissait ce qui n'était qu'une vision et que j'avais pourtant si clairement devant moi. En fait, je venais de passer devant la vitrine magnifiquement surchargée de Bastianello, sur la Merceria Due Aprile. Les somptueux bijoux qui y sont exposés, les pièces d'orfèvrerie et les icônes couvertes de plaques d'argent doré ont amené mon cerveau à rouvrir des cases fermées depuis pas mal de temps, et notamment celle qui concerne le trésor de San Salvador, visité une fois il y a longtemps, et celui de la pala d'argent doré que cache la plupart du temps la magnifique Transfiguration du Titien qui lui sert de protection.

Ce trésor est composé d'une centaine d'objets de culte et de décoration d'autel réalisés du XIVe au XIXe siècles par ces talentueux orfèvres vénitiens, les orafi comme on dit en dialecte. Des objets magnifiquement ciselés, somptueuses pièces dont la pala est l'exemple le plus abouti, après celle de San Marco (à ma connaissance, il n'y en a que deux à Venise). Créés par des artistes-artisans - c'était souvent la même chose autrefois, avant que le pratique et le profit ne dominent la création - ils sont l'expression non seulement d'un savoir-faire incroyable, mais aussi d'une profonde piété, où le respect des rites se mêlait à un grand sens du beau et de l'esthétique. Une manière de rendre grâce au Créateur en lui offrant de beaux objets destinés à son culte, maigre et humble image de la beauté de sa Création. Les temps ont bien changé, vous ne trouvez pas ? 


Mais revenons à mon rêve éveillé et aux orafi. Sur la gravure de Visentini ci-dessus, détail d'une vue du campo San Salvador aux milieu du XVIIIe siècle, on voit une échoppe d'orfèvre. Était-ce celle de la riche famille Candoni qui officia sur plusieurs générations (jusqu'en 1790 !), à l'enseigne Al San Bortolomio ou bien plutôt la bottega Alla Generosità de Francesco Dolfin ou encore celle de Lunardo Cherubini dont le magasin se nommait Alla Religione et dont l'activité survécut à la chute de la République ? Nous sommes après tout dans le prolongement du Rialto. Sur le pont et bien sûr de l'autre côté, dans la ruga qui leu était dédiée, il y avait de nombreuses boutiques d'orfèvrerie. 
 

La mariegola conservée - comme toutes les autres règles des confréries vénitiennes - recense les métiers liés aux métaux précieux que les artisans vénitiens travaillaient. Tous étaient réunis dans le même quartier comme cela était courant autrefois. Ainsi, autour des orafi et des argentieri, il y avait les tailleurs de pierres précieuses et semi-précieuses, les ciseleurs, ceux qui tournaient l'ivoire, l'ambre et l'écaille, les horlogers, etc. On venait de loin pour faire exécuter bijoux et objets. Louis XIV qui aimait les métaux précieux (sa collection de mobilier en argent massif était unique au monde) avait lancé cette mode qui se répandit dans toute l'Europe. Une célèbre boutique de la Spadaria, celle du maître Antonio Conba, portait d'ailleurs le nom Al Re di Francia.


L'air et l'atmosphère de Venise favorisent ces rêves éveillés, visions d'un monde que nous connaissons par les récits, les peintures et les gravures que nous ont laissées les anciens. J'ai toujours été convaincu - croyance qui remonte à ma petite enfance et se base sur de nombreuses expériences vécues - que dans notre sang coule aussi la mémoire de ceux qui ont vécu avant nous. Comment expliquer autrement ces moments uniques où, arrivant quelque part pour la première fois, on se sent chez soi depuis toujours et on reconnait tout, l'air et la lumière nous sont familiers... Cette procession qui défilait l'autre matin devant mes yeux, mêlant des personnages de l'antique République et les hordes de touristes, ce n'était pas seulement le produit de mon imagination, mais un souvenir venu de très loin avant vous et moi.
 
 
Librement inspiré de l'ouvrage de Piero Pazzi, Dizionario aureo, orefici, argentieri, gioiellieri, diamantai, peltrai, orologiai, tornitori d’avorio nei territori della Repubblica Veneta, Edizione Piero Pazzi, 1998.

19 novembre 2022

Chronique de ma Venise en novembre : La Festa della Salute

 
Pour ma tante Randi,
In Memoriam.

Chaque 21 novembre depuis le XVIIe siècle, les vénitiens rendent un hommage solennel à la Vierge Marie, adorée spécialement en ce jour pour avoir mis fin à la terrible peste qui décima la population de la Sérénissime en 1630. Émouvante et joyeuse fête qui rassemble les vénitiens qui viennent en famille ou entre amis de l'aube à tard dans la nuit.

Jeunes et vieux, croyants ou non, tous se rendent à la basilique de la Salute en empruntant le pont de bois qui enjambe le grand canal pour quelques jours. Tous vont vers la Madonna della Salute, la Mesopanditissa. Enchâssée dans le grand autel en marbre avec sa somptueuse sculpture de marbre réalisée par le sculpteur flamand Giusto le Court où la vierge apparaît tenant dans ses bras l'Enfant-roi, accompagnée d'un groupe d'anges qui chassent la peste sous le regard d'une femme en prière, allégorie de la ville de Venise invoquant l'intercession de Marie, l'icône, très aimée par les vénitiens, fait l'objet d'une grande vénération,  depuis que le doge Morosini décida de l'exposer dans le sanctuaire en 1670 dont elle est depuis le symbole.
 

Le pont de bateau, inauguré la veille par le cardinal Francesco Moraglia, patriarche de Venise et le maire Luigi Brugnaro, voit ainsi passer des dizaines de milliers de pèlerins qui portent avec eux un cierge que la plupart ramèneront chez eux pour protéger la santé de eux qu'ils aiment ou veiller à la guérison de leurs malades. L'usage est de les allumer autour du maître-autel où une messe est célébrée toutes les heures. La foule reste dense toute la journée. Les policiers, très nombreux depuis quelques années, en uniforme autour de la basilique ou en civil parmi les fidèles, veillent à maintenir la circulation. À certains moments, il y a tellement de monde, qu'ils doivent organiser un sens, brandissant des panneaux indiquant le sens autorisé ou interdit. Tout cela se fait dans la plus grande sérénité, paisiblement et joyeusement. Il s'agit vraiment d'un moment de fête, un de ces temps aimés quand on se retrouve volontairement entre parents ou amis.Les touristes qui pour la plupart ne savent pas ce qui motive ce grand mouvement de foule semblent un peu hagards. Certains s'éloignent effrayés ou, comme le disait une dame en prenant le bras de son mari : "N'y allons pas. Laissons-les !". "Mais pourquoi donc ?" Répliqua l'homme. "Par pudeur." fut sa (jolie) réponse. 

Cette solennité n'a rien d'artificiel et, tout comme le Redentore, autre grande fête traditionnelle, rien ni personne ne l'a dénaturée. Traditionnel moment de retrouvailles d'un peuple aujourd'hui réduit en nombre mais qui resté attaché à ces traditions ancestrales. Toutes les générations s'y retrouvent dans un même entrain et une piété commune, témoignage que l'âme authentique de Venise coule encore dans les veines de son peuple. Joyeux témoignage d'authenticité et de vie dans un monde qui se délite, où des forces implacables sont en mouvement qui poussent à l'uniformisation des usages et des goûts et grignotent inlassablement nos différences et nos libertés au nom du profit et de l'ambition de quelques uns.

Voir les petits vénitiens tenant fièrement ces ballons gigantesques ballons qui flottent partout dans la foule et qui se régalent avec leurs parents de pommes d'amour rutilantes, de marrons grillés, de massepain et de nougat, entendre les rires, et plus revigorant encore, entendre tout ce peuple s'exprimer en dialecte, tous milieux sociaux et âges confondus, mais quel bonheur. Quelle joie. Quelle fierté aussi. En rentrant chez moi, hier soir après la prière de clôture dite par le patriarche dans une basilique noire de monde, après être passé par la sacristie où autour du patriarche, prêtres, séminaristes et enfants de chœur quittaient leurs vêtements sacerdotaux au milieu des bénévoles qui vendaient images pieuses et chapelets, après m'être recueilli comme des centaines d'autres derrière le maître-autel, après avoir admiré les somptueuses noces de Cana du Tintoret et le groupe de saints autour de Saint Marc du Titien et ce Saint Sébastien de Basaiti qui vole haut sur l'une des parois de pierre blanche de la sacristie, deux des tableaux qui ont illuminé mes années d'étudiant à Venise, après avoir traversé le cloître du séminaire, c'est une immense paix que je ressentais. Les marchands de gourmandises et d'objets religieux rangeaient leurs marchandises, des groupes de passants se répandaient partout, tout résonnait de joie et de paix. 

Rare moment de grâce qu'on retrouve aussi à la Saint Martin quand les enfants se répandent dans les rues, le soir du Redentore quand flotte sur le Bacino di San Marco tout l'esprit festif des vénitiens... Mais aussi chaque jour après l'école à San Giacomo, à Santa Maria Formosa, ailleurs encore, et le soir pour la passeggiata à San Luca ou a pied de la statue de Goldoni et plus tard du côté de la Misericordia, la Movida estudiantine... En dépit des hordes de touristes, vivre à Venise est et demeure un bonheur. 


 
Page publiée sur le blog en novembre 2019.

16 février 2022

Petite Promenade comme en rêve... (3eme et dernière partie)

 
 
A un moment où le monde entier commence à réaliser que la pandémie annoncée qui bouscula toutes nos vies n'a pas fait les millions de morts annoncés et que partout la pression s'allège, que les langues se délient et que bon nombre d'entre nous se disent que finalement, on a un peu surjoué le danger planétaire, il est bon d'imaginer le retour à une vie normale. A Venise, cela passera comme en France ou ailleurs, par l'abandon du masque, par l'arrêt des contrôles et de la défiance et à la fin de cet ignoble passe sanitaire ou vaccinal imposé par des gouvernants largement dépassés et parfois ridiculisés par leurs phrases à l'emporte-pièce. Mais surtout, cela passera par le bonheur retrouvé de la passeggiata entre amis, de tous âges, de tous milieux, des tournées de prosecco, spritz et ombre di bianco (o rosso), en se pourléchant devant les plateaux attireants de ciccheti et des tramezzinini pris debout, sans avoir à se défier de son voisin qui éternue ou parle du nez. On pourra reprendre nos périgrinations selon l'inspiration du moment : faire les magasins, aller au théâtre, au concert, au cinéma, dans les musées, sans avoir à brandir d'ausweis. Et puis tant pis si les touristes sont revenus, tant pis si cela redevient comme avant entre les ignorants qui confondent le ponte des Pailles avec le pont de soupirs, la salute avec San Marco et s'affollent du prix d'un chocolat chaud ou d'un capuccino sur la Piazza.

Commençons donc notre nouvelle promenade par un apéritif à une terrasse. Pourquoi pas le Zanzibar, au pied du campanile de santa Maria Formosa, puisque nous sommes dans le quartier. Après une pensée pour le vainquer de la bataille de Lépante dont les appartements étaient au-dessus du café de l'Horloge, la visite du Palazzo Grimani s'imposait.

Il y a si longtemps. Les yeux remplis de toutes les merveilles que ces deux palais contiennent, après un passage par la librairie de la Querini Stampalia qui présente de bien belles choses, le café au pied de l'église est le meilleur endroit pour entamer la passeggiata. Le spritz y est amoureusement prépare et servi avec le sourire, tout le monde se connait ou presque, les enfants jouent autour sans gêner les parents et les autres. Quelques patatine, et beaucoup de choses à se raconter. les vénitiens adorent les potins et les échangent vont bon train. Un régal permanent que d'entendre mêlées les conversations autour de soi, en dialecte ou en italien mais toujours avec cet accent délicieux qui me rappelle toujours combien nous sommes différents en France où Louis XIV, qui rrroulait les rrr pourrrtant nous a privé du délice gourmand de la musique des dialectes, les « langues régionales» comme on disait à Science Po - avec un léger mépris dans la voix - quand ici, quelque soit son origine sociale, on s'exprime dans la langue qu'utilisait Goldoni et Casanova. Nulle condescendance chez les italiens.

 
Cela me remet en mémoire un épisode assez drôle vécu avec mon ami Antoine Lalanne-Desmet qui travaillait alors pour RFI et la RTS. Nous étions sur un tournage consacré à la Venise décrite depuis des années dans Tramezzinimag, celle de mes années de jeunesse, celle qu'évoque aussi un autre ami très cher, Francesco Rapazzini dans un livre paru chez Bartillat en 2018, que je recommande aux lecteurs dont il fera les délices. Ils auront certainement lu dans les chroniques de l'époque mes commentaires sur l'ouvrage de Francesco.
 
J'ai déjà raconté l'anecdote. L'enfant aujourd'hui a grandi. il ne se souviendrait certainement pas de notre échange si je ne lui en parlais pas à chaque fois que je le rencontre. Sa famille n'habite plus la corte del Milion, mais non loin des Schiavoni. L'entreprise familiale de restauration semble florissante et l'adolescent grandit comme tous les vénitiens de sa génération, skate et promenades en barque, la musique à tue-tête avec ses aînés. 
 
Mais retournons dans la fameuse corte. Nous nous promenions le nez au vent, Antoine brandissant son micro chaque fois que je trouvais des choses à dire sur les lieux que nous traversions. Parfois, il s'adressait à des passants. L'idée était de remplir sa machine de sons et de paroles afin de préparer son montage. Près du puits, un groupe d'enfants jouait, sans se péoccuper le moins du monde des passants. Appuyé sur la margelle, je les observais avec délice, pensant à ces vers de Mario Stefani qui s'adaptaient si bien au spectacle que j'avais sous les yeux : 
 
I zoga i fioi nel campo 
no, no i me disturba
go imparà ad amor sto' ciasso
sto' rumor 
fato de amor. * (Mario Stefani)

Le groupe d'enfants s'amusait à un de ces jeux que les enfants des villes ont délaissé partout ailleurs depuis longtemps, chassés par la circulation automobile, la foule toujours pressée et les mirages de la télévision et aujourd'hui des jeux vidéos. A Venise, rien n'a vraiment changé bien que la population des moins de quinze ans ait diminué ces dernières années de plus de 70%. Comme les chats, les enfants ont disparu dans beaucoup d'endroits où on les croisait par nuées, comme des volées de moineaux, au sortir des écoles, sur les campi, les ponts et dans les rues. Venise est un rêve pour les enfants. Aucun danger, même un bain forcé dans l'eau d'un canal sales et boueux mais peu profond, ne comporte pas d'autre risque qu'une crise d'urticaire. Les enfants jouaient donc comme ceux que décrit le poète. Des gamins du quartier. Parmi eux un petit bonhomme au joli visage de pierrot souriant reprenait son souffle à côté de moi en regardant les autres poursuivre leu partie endiablée. Nos regards se croisèrent. Je lui demandais
- Tu habites ici ? 
Après m'avoir observé de haut en bas, il me répondit dans un sourire :  
- Oui, Juste là » en pointant son doigt vers la maison à la façade ornée de vestiges très anciens, la maison - présumée - de Marco Polo. Sa petite voix d'enfant chantait avec l'accent vénitien. Antoine s'était approché et sentant en bon professionnel qu'il fallait enregistrer, il tendit son micro. Cela ne sembla pas impressionner le petit. 
- Cette maison-là ?».
Il haussa les épaules comme pour marquer l'évidence.
- Ben oui, c'est la que je vis avec ma famille et là-bas c'est ma grand-mère». Une vieille femme un peu ronde était assise avec d'autres personnes sur des chaises du café voisin.
- C'est la maison de Marco Polo !»
- Oui» dit-il.
-  Et tu sais qui c'était, Marco Polo ?
- Ben oui ! C'est le monsieur qui a inventé la Chine !»
Je restai bouche bée devant ce magnifique mot d'enfant. Un petit chinois parlant le vénitien qui habite à l'emplacement de la maison et des entrepôts de la famille Polo et a tout cadré dans une présentation de la réalité d'une incroyable efficacité. Cela ne s'invente pas. Antoine me jeta un coup d'oeil entendu. Nous avions envie de rire mais l'enfant n'aurait pas crompris. Nous ne pouvions pas nous moquer de lui. Après tout par le récit de ses voyages et par tout ce qui en a découlé, on peut après tout suivre l'avis péremptoirement annoncé en vénitien par un petit garçon chinois pas plus haut que trois pommes.

Mario Stefani aurait adoré cet échange. Le poète aurait su en faire quelque chose de bien joli. Nous sommes rentrés Antoine et moi, sous le charme de cette rencontre et de ce bon mot que nous nous répétions en chemin. Les enfants, et particulièrement les enfants de Venise  savent les sortilèges qui rendent tout unique sur les bords de la lagune. Hugo Pratt avait raison, il y a quelque chose de plus qu'ailleurs dans l'air de Venise...


* « Les enfants qui jouent sur le campo/ne me dérangent vraiment pas/j'ai appris à aimer ce vacarme/ce bruit/tout rempli de joie. » (traduction Tramezzinimag)

14 mars 2021

L'aventure de Cool Cousin se termine mais le carnet d'adresses de Tramezzinimag demeure !

Les brillants inventeurs du concept de Cool Cousin ont décidé de mettre un terme à l'aventure. Tous les cousins du monde ont pu faire l'expérience de contacts formidables et pour ce qui est de Venise, nous étions cinq à avoir été contactés qui avaient accepté de mettre à disposition, comme on le fait pour des parents venus nous visiter, ce que les jeunes appellent des "spots", donner à voir des lieux méconnus sans crier sur les toits les bonnes adresses et les heureuses trouvailles. La philosophie était simple, joyeuse et intelligente. Quelques milliers de bitcoins plus tard, les ingénieux fondateurs sont passés à autre chose. Ce n'est pas un véritable abandon, beaucoup d'entre nous y ont gagné des amis et avons pu bénéficier de l'exponentielle croissance du Cuz, la crypto-monnaie inventée en même temps que la startup, en 2016... 
 
Mais pour ceux d'entre nos lecteurs qui n'avaient pas suivi, revenons aux débuts. Cool Cousin est une start-up financée par capital-risque (venture backed companies) fondée pour révolutionner la façon dont les gens voyagent. Au départ, une étude sur les nouvelles manières de voyager montrant que le tourisme avait contribué pour la seule année 2016 pour 7,6 billions de dollars à l'économie mondiale, ce qui représentait 10,6% du PIB total mondial, soit un emploi sur 10 sur la planète ! La fameuse génération Y, connue pour son pouvoir d'achat accru, est une force motrice considérable de cette industrie florissante. Les membres de cette génération, aujourd'hui considérée comme la plus grande génération vivante de la planète, dépensent en moyenne 4.500 $ pour en moyenne 35 jours de voyage chaque année. 
 
 
Depuis son lancement en juin 2016, jusqu'à ces derniers mois plusieurs millions de voyageurs ont ainsi utilisé Cool Cousin qui permettait d'explorer d'une autre manière près de 70 villes tout autour de la planète. Pour ce faire, un millier de guides, tous choisis pour inspirer confiance et dénommés les Cousins ont offert leur assistance, donnant des adresses, des conseils, répondant aux questions des cousins vivant sur place. Couronné par le New York Times, le L.A Times, The Guardian et National Geographic comme une « application devenue incontournable pour les voyageurs », Cool Cousin s'est parfaitement positionnée pour devenir le lieu où les voyageurs grand public adoptent la crypto-monnaie.  
« Rechercher des informations de voyage pertinentes en ligne est devenu une tâche impossible. Le modèle commercial qui maintient Internet gratuit a noyé nos flux d'informations non pertinentes, créant une surcharge et des boucles de rétroaction auxquelles nous ne pouvons pas échapper. Les voyageurs chevronnés sont conscients des manipulations en ligne, mais ont encore du mal à éviter les faux-avis, les arnaques et les contenus biaisés stimulés par les budgets marketing des entreprises et les moteurs de recherches ultra-puissants qui modifient sans cesse leurs pages de recherche. En conséquence, une grande partie du temps de vacances d'un voyageur (et d'argent donc) est gaspillée sur des expériences médiocres qui ne correspondent pas à ses goûts, à l'ambiance dont il avait rêvé...»
Les inventeurs de CC l'ont vite compris : la meilleure source d'informations sur un lieu surtout quand il est éminemment touristique, reste un ami sur place, un parent. Un initié de confiance qui connaît vos goûts et peut vous diriger vers des endroits qui vous conviennent. Cool Cousin a voulu être ce qui se rapproche le plus d'avoir un ami de confiance dans toutes les villes du monde.
« Fondé comme un antidote à la frustration croissante des services de voyage en ligne, CC relie directement les voyageurs à des habitants partageant les mêmes idées - alias Cousins - pour un échange ouvert et impartial de connaissances et de services locaux. À l'aide de l'application, les voyageurs peuvent rechercher dans une liste de cousins dans leur destination, explorer leur guide personnel de la ville et obtenir des conseils et des services personnalisés. Les voyageurs utilisant Cool Cousin se connectent en moyenne à 4 cousins et se renseignent sur l'hébergement, le calendrier de leur visite, les problèmes de trajet, les événements actuels et d'autres intérêts logistiques et personnels - exactement ce pour quoi les gens se tournent vers les agents de voyages.» 
Et cela a fonctionné. Comme mes acolytes, je recevais pas mal de messages dont le contenu était parfois surprenant, comme cette jeune femme qui voulait offrir à ses deux mamans un séjour inoubliable à Venise et me demanda de leur trouver un hôtel avec spa dont la chambre ouvrirait directement dans l'eau et leur permettrait de sortir en jetski... Toutes les demandes n'étaient pas aussi caricaturales, loin s'en faut. Et combien de messages de remerciements après, confirmant le plus souvent mes commentaires sur les lieux que je recommandais. Certains sont même revenus et nous nous sommes rencontrés autour d'un café ou d'un prosecco.
 
Je voyais aussi dans ce rôle qu'il m'avait été demandé d'endosser le moyen de diffuser un message sur la fragilité de Venise, la nécessité de se comporter respectueusement avec la Sérénissime, rappelant chaque fois que cela était possible, de respecter quelques règles, de faire autant que possible comme les vénitiens, de chercher à s'adapter... Bref, tous les conseils que les guides devraient - la plupart le font - asséner aux touristes dont ils ont la charge. J'espère que j'aurai ainsi pendant ces années Cool Cousin, modestement contribué à la Défense de Venise ! L'avenir dira si cette idée de la fragilité de Venise, ville vivante et unique, modèle universel dans bien des domaines, se sera répandue suffisamment pour que chaque visiteur aie à cœur, réellement, de la respecter et de la faire respecter...

Avec « La Venise de Lorenzo », qui a reçu depuis les débuts de l'application plusieurs centaines de milliers de visiteurs, les city-guides
Cool Cousin, de Taipei, Melbourne, Londres, Tokyo, Montréal, Vancouver, Dublin, Sao Paulo, etc., ne seront donc bientôt plus visibles en ligne (le 31 mars sera le dernier jour !). 
 
Il faudra désormais passer par Google Maps, en cliquant sur le lien ICI. C'est moins esthétique et largement plus du tout convivial mais «pratique et fonctionnel», à l'image de notre époque pressée et efficace... Tramezzinimag continue de vous recommander ces adresses, beaucoup d'entre vous les connaissent et les apprécient aussi. Nous essaierons autant que faire se peut de tenir cette carte à jour et de l'améliorer. cela rejoint un projet qui nous a longtemps tenu à coeur avec Antoine Lalanne-Desmet d'une carte interactive de la Sérénissime, sonore autant que visuelle, regroupant les lieux préférés de Tramezzinimag, mais aussi des œuvres d'art méconnues ou célèbres, des textes d'auteurs italiens ou français, de la musique, des vidéos... Un gros boulot, mais quand on aime Venise et qu'on veut la montrer dans sa vraie réalité, on ne compte pas n'est-ce pas ?


04 février 2021

Venise Citybooks N°1 : Les impressions de Cees Nooteboom

Tramezzinimag a beaucoup de lecteurs en Belgique et aux Pays-Bas. C'est par le biais de ces abonnés fous de Venise, que nous avons découvert l'écrivain Cees Nooteboom, il y a quelques années. L'auteur a publié en 2013 dans la très belle revue belge Septentrion, des extraits de son Citybook sur Venise. Il y livre ses impressions après quelques jours passés en résidence dans l'île de San Giorgio, à la Fondation Cini. Tramezzinimag vous en livre à son tour quelques extraits :
 
I

J’ai acheté une immense carte de la lagune de Venise pour essayer de ramener la ville à sa juste proportion. Curieux exercice. Je sais que j’arriverai par avion demain mais, cette fois, c’est par la mer que j’aborderai cette ville que j’ai si souvent visitée. Sur la carte, le rapport entre l’eau et la ville est de l’ordre de mille pour un et, dans ce bleu infini, la ville est devenue village, petit poing serré posé sur un grand drap, si bien que tout ce vide semble avoir engendré, dans un moment de colère, la ville qui plus tard allait le dominer. L’auteure mexicaine Valeria Luiselli voit au lieu de mon poing une rotule brisée et, à mieux y regarder, je crois qu’elle a raison. Depuis les hauteurs de Google Earth, l’analogie est encore plus évidente, le Grand Canal est la fracture du genou ; le labyrinthe granuleux désagrégé tout autour représente l’os de la ville où je vais me perdre demain comme tous ceux qui viennent de l’extérieur doivent s’y perdre : c’est la seule manière d’apprendre à la connaître.

J’ai séjourné à plusieurs adresses en ce lieu, parfois dans de vieux hôtels, la plupart du temps dans d’étroites ruelles obscures, dans des parties de palais qui n’évoquaient jamais un palais, des cages d’escaliers en piteux état, des petites chambres avec tout juste une fenêtre donnant sur l’arrière d’une maison qui paraissait inhabitée, alors que dehors étaient pourtant suspendues à un fil à linge précaire deux culottes gelées, dans le froid glacial et silencieux. Parfois aussi une vue sur l’eau d’un canal latéral inconnu où, tous les jours à la même heure, un bateau passait, chargé de fruits et de légumes. Cette fois, ce n’est pas l’hiver, nous sommes en septembre, et tout rêve d’une ville déserte s’est volatilisé dès mon arrivée : Venise appartient au monde entier, et le monde entier est au rendez-vous. S’il y a un Proust ou un Thomas Mann, un Brodsky ou un Hippolyte Taine parmi eux, ils se cachent bien. Des armées entières montent en ligne à cette époque de l’année, l’armée chinoise, l’armée japonaise, l’armée russe. Pour découvrir sa Venise, il va falloir faire preuve d’obstination et d’esprit de décision, revêtir une cuirasse invisible, et se dire humblement que pour tous les autres, on fait tout simplement partie de ceux qui se mettent en travers de leur chemin et se serrent désagréablement contre eux dans la partie ouverte du vaporetto où il n’y a rien pour se tenir.

Mais je n’en suis pas encore là. Je viens tout juste d’arriver et mon voyage associe déjà trois des quatre éléments : l’air, car j’ai traversé le ciel pour venir ici, la terre que j’ai foulée à mon arrivée, et l’eau au bord de laquelle je viens de m’arrêter et où scintille la lumière, tandis que j’attends un taxi sur un appontement. Quant au quatrième élément, le feu, je ne m’y risquerai pas, même si le soleil flamboie dans l’eau ondoyante. L’art contemporain de la description a en effet ses limites, liées à la patience du nouveau lecteur. J’ai acheté avant mon départ un livre d’Hippolyte Taine datant de 1858. J’y ai marqué d’une croix des passages évoquant l’éclat du mouvement de l’eau. C’est là une autre leçon d’humilité, car il rend par sa description l’eau véritablement éclatante, elle aussi. Maintenant que je suis ici, je constate à quel point il est difficile de se livrer à un exercice qui se pratiquait encore au 19e siècle sans aucune gêne : décrire minutieusement, dans les moindres détails, de façon impressionniste, ce que l’on voit.

Le taxi interrompt mes réflexions. Il fend l’eau de la vaste lagune, file le long des bittes d’amarrage formant une ligne géométrique sur ce qui doit être le Canale di Tessera et se rue sur la ville. Je vois les silhouettes de tours connues, j’ai l’espace d’un instant le sentiment de rentrer chez moi, nous passons à vive allure à côté de Murano, contournons par le sud l’île des morts de San Michele et entrons dans l’Arsenal, longeant soudain lentement les hauts murs de briques du quai puis traversant en biais le Canale di San Marco en direction de la petite île de San Giorgio où je vais séjourner cette fois. Les cloches de la colossale basilique San Giorgio se mettent aussitôt à sonner, je n’y suis pour rien : il est six heures du soir, c’est l’angélus. J’entends aussi les cloches de la basilique San Marco et de l’église du Redentore, dont le tintement se propage sur l’eau. Pris entre un feu croisé de sons, debout sur la grande place dégagée devant l’église, je vois un homme à genoux qui, muni d’une brosse métallique bien trop petite, frotte les escaliers pour en retirer, centimètre par centimètre, les algues qui y ont poussé juste en dessous de la surface de l’eau, un travail de Sisyphe qui semble plus proche de l’éternité que du monde d’où je suis venu aujourd’hui.

Une heure plus tard, après avoir déposé ma valise dans ma chambre monacale, j’entre dans la gigantesque basilique encore ouverte. Dans ce genre d’espace, on recherche malgré soi les parois latérales : le vide au milieu est dangereux. J’ignore si l’on vient prier ici. On ne décèle pas la moindre trace de cette intimité propre aux églises romanes : c’est une station spatiale pour se rendre sur la planète Mars, un autre Dieu, classique, martial, règne ici, dans cette demeure que Palladio a conçue pour lui. Même les grandes fresques du Tintoret, à peine visibles dans la pénombre, sont intégrées dans un réseau mathématique de lignes implacables. Je sais que, derrière l’imposant maître-autel, doivent se trouver d’extraordinaires stalles flamandes mais, alors que je cherche à m’en approcher, un bruit de voix,le faible murmure plaintif de voix de vieillards, me retient. Le bâtiment était autrefois un monastère bénédictin. Quand les moines en ont été chassés, tout est tombé en ruine. Aujourd’hui s’est implantée sur l’île une fondation où je suis autorisé à passer quelques jours, mais les moines ont quant à eux rejoint leur monastère réduit à une plus petite taille. Ils n’occupent plus que quatre des nombreuses stalles, dans l’obscurité croissante j’ai pris position de façon à pouvoir les observer pendant les vêpres. Leurs voix, qui fredonnent des chants grégoriens, se noient dans l’immensité de la construction. L’opposition entre la magnificence classique environnante et le désarroi émanant des prières chuchotées ne manque pas de pathos ; l’atmosphère est aux adieux irrévocables et, lorsque je quitte la station spatiale sur la pointe des pieds, j’entends derrière moi l’écho toujours plus faible d’une époque à jamais révolue. Dehors, je vois les lumières de la grande place de l’autre côté et les bateaux qui naviguent du quai des Esclavons versla Giudecca. Je suis arrivé.

II

Bateau, sur l’eau, la rivière, la rivière, bateau, sur l’eau, la rivière au bord de l’eau. J’ai enfin osé. Dix séjours à Venise, et me voici pour la première fois dans une gondole. Tôt le matin, quand je bois mon café au coin des Procuratie nuove, ils sont à côté de moi : les gondolieri. En grande conversation à propos du match de la veille dans un dialecte vénitien impossible à suivre. Il fait froid sur l’eau, porter un cappuccio tient chaud. Dehors sont alignés les fins bateaux noirs en forme d’oiseaux, leurs têtes d’oiseau (ce sont des têtes d’oiseau, regardez bien) pointés vers l’île où je loge. Pourquoi n’en ai-je jamais eu envie ? Parce que c’est le cliché absolu de Venise ?

Ce serait puéril. Est-ce dû aux visages des gens dans ces gondoles ? Mais qu’ont-ils donc, ces visages ? Affichent-ils l’insupportable béatitude du but enfin atteint, le sentiment de vivre le baptême vénitien absolu, qui les rattache à jamais à la ville ? En gondole avec Thomas Mann, Marcel Proust, Paul Morand, Henry James, Ezra Pound. Louis Couperus ? Ich bin auch ein Berliner, quelque chose de ce genre ? Ou bien ont-ils cette expression sur leur visage : si nos voisins du Kansas, de Bielefeld, de Wakayama, de Novossibirsk, de Barneveld nous voyaient ? Comme si, en bas au niveau de l’eau, ils s’étaient drapés de toute la ville comme d’un manteau, le temps de cet instant silencieux, ondoyant, de plénitude, de bercement, de chuchotement de l’eau autour de soi sur des canaux plus calmes, avec derrière eux un homme invisible, le passeur, aux mouvements puissants, rythmiques. Pourtant, la plupart des gens n’ont pas la bonne expression sur leur visage, même s’ils font de leur mieux. Cela ne peut s’expliquer que par le fait qu’ils sont conscients qu’ils ne vont nulle part et reviendront, bientôt, à leur point de départ. Quelle expression adopter quand les gens dans le vaporetto, qui eux vont quelque part, vous regardent ?

Jamais je n’avais fait plus que le traghetto,une gondole aussi, mais qui sert seulement à se rendre d’un côté à l’autre du Grand Canal. Monter en chancelant, le bras maintenu par la solide main du passeur, essayer de tenir debout sans perdre l’équilibreou s’asseoir un instant sur la planchette étroite pour ne pas perdre la face. L’équilibre ou la face, voilà de quoi il s’agit. Non, je ne l’avais encore jamais fait. L’an dernier, quand il neigeait à Venise et que nous avions un petit appartement près du Campo San Samuele, à l’arrière, du côté donnant sur une ruelle, de ce qui avait dû être un palazzo autrefois (un lieu sombre, dissimulé derrière des grilles, avec un chien aboyant chaque fois que nous rentrions et à peine une vue sur l’eau), je voyais passer, tôt le matin déjà, des Japonais qui se bousculaient sous des parapluies, de la neige sur leurs chapeaux et leurs bonnets, et qui rayonnaient de joie. Le gondoliere chantait une chanson sur le soleil en essuyant les flocons qui lui tombaient dans les yeux. O sole mio. Je l’admirais. Lentement, la barque passait et je savais que les passagers n’oublieraient jamais cette excursion, j’aurais aimé savoir dire en japonais le mot « jamais ». Quand on n’a jamais pris une gondole, on n’est jamais allé à Venise. Tout le monde prenait une photo de tout le monde : preuve. Au Japon, on achète son voyage avec le tour en gondole compris. Mais était-ce une raison pour moi de m’abstenir ? Des Chinois trempés sous la pluie, des Américains munis d’une bouteille de prosecco ? J’avais essayé de trouver une justification rationnelle à mon attitude absurde, une gondole est un moyen de transport, il faut s’en servir pour aller quelque part, comme cela se faisait autrefois, à l’époque où les vaporettos n’existaient pas encore.Se contenter d’être ballotté au gré des flots, ce n’était pas un objectif en soi, pour moi qui aimes pourtant musarder à travers la ville en me laissant guider par le hasard. Une gondole encore plus noire que d’habitude, transportant un cercueil recouvert d’une étoffe brodée d’or, en route pour l’île des morts de San Michele, voilà qui était authentique, l’essence même du transport. Tout le reste n’était que tourisme, comédie, théâtre, c’était bon pour les autres.

Et maintenant ? Maintenant nous étions nous-mêmes les autres, assis dans une gondole, montés à bord d’un pas mal assuré, pesant en définitive trop lourd, l’embarcation penche, mais la main exercée connaît les corps maladroits, les installe sur un coussin, le voyage peut commencer et, tout d’un coup, le monde a changé, il se déroule au-dessus de vous, sur les quais que vous longez vous n’apercevez pas des visages mais des chaussures, les maisons s’étirent et vous découvrez soudain toutes sortes de choses auxquelles vous n’aviez jamais prêté attention ; une légère houle s’est emparée de la ville, vous voyez les murs comme une peau vivante, lésions, blessures, cicatrices, guérison,vieillesse, histoire, algues noires, algues vertes, le dessous secret des ponts, marbre et maçonnerie, les autres bateaux, la vie sur l’eau d’une ville de pierre et d’eau. À voix basse le gondoliere cite les noms des églises et des grandes bâtisses comme un vieux prêtre récite une litanie qu’on n’a pas besoin d’écouter. J’essaie parfois de suivre sur la carte l’endroit où nous nous trouvons, mais je perds vite la piste. Parfois, quand nous prenons un virage serré, il lance un « Ohé ! » sonore, comme si nous étions en danger de mort, mais j’ai décidé depuis longtemps de m’en remettre à lui, tel un enfant dans l’utérus j’écoute le murmure des eaux et je ne veux plus jamais naître.

III

Un souvenir. Un jour d’hiver. Il a neigé sur la Place Saint-Marc, mais la neige a vite fondu. Sous une des galeries, je regarde la place mouillée, je crois voir les eaux de fonte s’évacuer lentement mais, comme dans le poème de Nijhoff, il en va autrement dans la réalité : je ne vois pas ce que je vois. On dirait qu’une source coule au milieu des dalles de la place, je vois l’eau monter lentement à certains endroits, la ville semble poreuse. Je n’ai pas entendu les sirènes alerter d’un danger de hautes eaux, la situation ne peut donc pas être grave, pourtant je ne parviens pas à détacher mon regard. Il faut tout de même qu’il y ait de la terre en dessous, pas de l’eau, une ville n’est pas un navire. Ou bien si ? Je suis debout sur de la pierre,je ne suis pas le Christ. Mais suis-je bien debout sur de la pierre ? Au loin, je vois des gens coltiner de curieuses planches, je n’ai pas d’autre mot pour les nommer, ce sont de longs rectangles de bois reposant sur quatre pieds métalliques, sur lesquels on peut poursuivre son chemin juste au-dessus de l’eau sans avoir à passer à gué. Les eaux peuvent monter jusqu’à cinquante centimètres. Ces planches servent alors à construire d’étroits chemins sur lesquels se croisent tant bien que mal les piétons. Noire est la boue qui vient du fond de la lagune, les eaux du Léthé, le fleuve de l’oubli, que buvaient les morts. J’ai assisté à des opérations de dragage, une sorte de grappin creuse dans les profondeurs et vomit une boue noire comme de la poix avec divers autres objets de cette même couleur d’eau en deuil, provenant du royaume des morts, de l’anti-ville là-bas, au fond, qui attend son heure.

Quand les eaux sont redescendues, les planches restent, comme pour rappeler que la chance peut tourner, que la pleine lune des tableaux romantiques peut parfois prendre, dans un accès de mauvaise humeur, le commandement des eaux. Et comme depuis la dernière époque glaciaire, il y a dix fois plus d’eau que de terre dans la lagune, les gens se sont tirés d’affaire comme ils ont pu, dans cette région où se livre une lutte entre les fleuves et la mer. La lutte des Pays-Bas contre la mer vient naturellement à l’esprit. Les ramifications du delta du Pô ont charrié du sable depuis les montagnes à l’intérieur des terres, les courants marins ont opposé une résistance, des bancs de sable se sont formés qui ont tenté d’encercler la lagune, les bras du fleuve dans le delta ont dû être déviés pour éviter que les alluvions viennent tout engorger et pour permettre à l’eau douce de se déverser dans la mer par trois ouvertures. Sur une photo aérienne prise de très haut, la lagune ressemble à un organisme vivant, les cours d’eau à des vaisseaux sanguins, les bras du fleuve déplacés au nord et au sud à des artères, les zones industrielles de Mestre et de Porto Marghera à de grosses tumeurs et Venise elle-même à un joyau négligemment jeté et perdu. Les marais qui l’entourent prennent l’aspect d’un manteau pour un roi assis sur un trône branlant fait de grès d’Istrie, pierre salvatrice capable de résister à la voracité des eaux de la mer, de même que les pins, provenant d’Istrie eux aussi, sont profondément enfoncés dans le sable et l’argile, comme à Amsterdam, pour soutenir les maisons et les palais. Quiconque a été capable d’accomplir une telle tâche peut partir à la conquête du monde.

IV 

Trois miniatures

Tiepolo au Palais des Doges
Trois personnages contre un ciel bleu. Le trident indique le dieu dont il est question. Mais il ne tient pas cette arme curieuse qui est son emblème, elle est à moitié posée sur son dos et sur celui d’une jeune femme noire vêtue d’une robe vert foncé, dont la tête est très proche de la sienne. La personne qui tient l’arme est invisible. C’est le portrait le plus humain que je connaisse de lui. Il est grand et fort, à moitié nu, il a de longs cheveux noirs, la barbe hirsute et grise, son œil droit est amoureux, l’autre ne se voit pas, mais ce seul œil suffit, sa peau jeune est hâlée et luisante, quelques poils apparaissent sur sa poitrine, il a des mains de travailleur, d’une couleur plus foncée, comme les agriculteurs et les pêcheurs. Il les tient autour de la corne d’abondance, qu’il déverse devant la femme blonde couronnée en face de lui. Des pièces de monnaie, un morceau de corail rouge vif, des colliers de perles, le tout peint si merveilleusement qu’on croit voir les effigies sur les pièces de monnaie, des figurines dorées et argentées, ce trésor s’écoule le long de son puissant genou et se répand sur la robe de brocart de la femme. Il n’y a aucun doute possible, il ne vient pas payer son tribut par obligation : il le donne par amour et Venise est la femme à qui il offre tout. D’une longue main légère émergeant de l’hermine, elle le montre du doigt et lui lance un regard qui se situe à mi-chemin entre l’étonnement et la peur peut-être. La connotation sexuelle est indéniable, elle est belle, la main gauche avec laquelle elle tient souplement son sceptre repose sur la tête d’un gigantesque chien à la gueule monstrueuse, elle est assise, le buste incliné en arrière, dans toute la splendeur de ses habits, et occupe près des deux tiers du tableau, ce qui donne l’impression qu’il l’approche tel une puissante vague, dieu seul sait ce qui peut encore se produire entre le dieu marin et sa ville favorite. Vu au Palais des Doges, dans la salle des Quatre Portes, qui servait d’antichambre aux ambassadeurs attendant une audience.

Carpaccio au musée Correr
Ruskin a qualifié les deux femmes peintes par Carpaccio de courtisanes, ce qui en dit long sur lui. Femmes de mœurs légères (d’un bon milieu) dit mon dictionnaire français, au cas où j’aurais encore un doute. Pourquoi Ruskin a-t-il pensé qu’il avait en l’occurrence affaire à des prostituées de luxe ? Les vêtements des deux femmes sont vénitiens, somptueux, leurs coiffures raffinées, leurs bijoux pas trop exubérants, quoique bien visibles. Une des femmes a un décolleté généreux, mais cela n’avait rien d’inhabituel. Quelle mouche a piqué Ruskin ? Sa propre pruderie victorienne ? Selon la légende, il avait tellement observé les nus en marbre poli qu’il eut un choc en voyant, lors de sa nuit de noces, les poils pubiens de sa femme. Cette interprétation s’explique cependant, à mon avis, par deux autres éléments de ce fabuleux tableau. Les deux femmes regardent droit devant elles, elles se détournent de l’observateur, toutes deux ont un regard vide, qui ne se pose sur rien. Il se passe certaines choses dans le tableau, pourtant rien ne semble bouger, elles paraissent attendre, une occupation souvent prolongée dont les courtisanes avaient l’habitude.

Que voyons-nous au juste ? Deux colombes, deux chiens, peut-être les pattes d’un de ces chiens ou d’un troisième chien invisible. La femme au décolleté tient dans la main droite une longue tige que le plus gros des chiens serre entre ses dents pointues. Les lois de la perspective ne me permettent pas de savoir si les deux pattes avant, que je vois en bas à gauche du tableau et dont une est posée sur une lettre dépliée impossible à déchiffrer, appartiennent au même chien : d’après la couleur et le pelage du chien, je pense que ce doit être le cas. Dans la main gauche, la femme tient la fine patte droite d’un petit roquet dressé sur son arrière-train, qui me lance un regard insolent. L’autre femme semble avoir enfilé deux énormes chaussons verts bordés de broderie, mais ce sont sans doute des plis dans le bas de sa robe. Ces connaissances relèvent de l’histoire de l’art, comme peut-être la signification de l’oiseau semblable à une corneille qui se tient par terre juste devant elle et qui lève une patte tridactyle dans sa direction. Cette femme aussi a ce regard vide, qui ne fixe rien et que je qualifierai, par facilité, de moderne. Dans la main droite, elle tient une étoffe en lin ou en soie, son coude s’appuie sur une haute balustrade de marbre à côté d’une grenade, symbole d’amour et de fertilité, je me souviens au moins de cela. Rien ne permet de savoir si le garçon, dont la tête ne dépasse pas encore la balustrade, le sait aussi. Quoi qu’il en soit, son attention se concentre sur le paon qu’il aimerait caresser. À côté du paon sont posées deux chaussures de femme, de celles qui étaient à la mode à l’époque et avec lesquelles il était manifestement presque impossible de marcher.

Le tableau est exposé au musée Correr. Si vous avez l’occasion de vous arrêter devant et de l’observer longuement, vous constaterez le calme qui s’installe autour de ces femmes. Selon des théories plus récentes, elles attendent le retour de leurs maris de la chasse, ce qui ne résout pas l’énigme de ce calme. Les vêtements et les objets situent le tableau dans le temps, mais le vide dans le regard et l’arrogance hostile du petit chien ont des relents de mon époque. Ce petit chien en sait trop, et nous nous connaissons.

Guardi
La ville que j’ai quittée il y a quelques semaines est devenue papier. Maintenant que je suis parti, la grande exposition de Guardi est enfin arrivée au musée Correr. Francesco Guardi, qui tout au long de sa vie a dû laisser Canaletto lui passer devant, alors qu’il savait naturellement qu’il avait plus de talent parce qu’il savait donner vie à la ville, libérer les palais de la stasis où l’autre peintre les a figés pour l’éternité, laisser l’eau respirer, rendre audibles les cris de tous ces hommes sur leurs bateaux et parce que ses nuages ressemblaient tant à des personnes se déplaçant au-dessus de l’eau et de la ville qu’on avait envie de leur donner des noms. Un ami qui connaît mes obsessions m’a envoyé une édition d’El País et une page du New York Times qui traitent de l’exposition. J’ai ainsi l’impression d’être encore un peu à Venise.

À travers le blanc et le noir du papier granuleux des journaux, je vois les tableaux comme il ne faudrait pas les voir, ils sont atteints d’une sorte de grisaille incurable, mais j’y ajoute tout de même les couleurs, de mémoire et par nostalgie. Sur le seul portrait que l’on connaît de lui, le peintre est mince, un peu transparent, le pinceau à la main comme s’il devait faire une démonstration à l’aide des couleurs sur sa palette : des traits blancs et foncés, des mains de femme, des yeux clairs qui conserveraient tout ce qu’ils verraient. La ville, la ville et encore la ville, une ville fluide faite d’eau et de bateaux, une ville de pierre faite de palais, mais aussi ce qui se passait derrière tous ces murs fermés, la ville dans la ville, la foire aux vanités du Ridotto, un tourbillon de raffinement et de lubricité autour des tables de jeux, une faible odeur de pourriture annonciatrice d’une lente agonie. Ses tableaux sont rentrés chez eux. Qui sait ? Peut-être avaient-ils la nostalgie de la ville où Guardi, toujours dans l’ombre de Canaletto, tenta autrefois de les écouler sur la Place Saint-Marc. Ils ont été acheminés par avion depuis les quatre coins du monde vers le Correr, quarante musées et institutions les ont prêtés pour plusieurs mois, j’ai hâte de les voir en vrai. À travers le gris du journal devant moi, je regarde la rive de la Giudecca où je marchais encore il y a peu, je vois la petite île où j’ai vécu, prisonnière entre la lumière et l’ombre, une région lointaine, crépusculaire, où je pourrais être un des fantômes qui peuplent ses tableaux. La ville n’a pratiquement pas changé depuis son époque. Aussi ces tableaux donnent-ils l’impression d’abolir le temps qui s’est écoulé. Je ne suis plus là où je suis et, pourtant, j’y suis, j’ai pris la substance de la peinture et je marche là-bas, dans le présent de 1760, où il m’a peint, un homme dans d’étranges vêtements assis sur les marches de l’église devant laquelle je passerai deux siècles plus tard, un Néerlandais dans la république sérénissime.

Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin

Podcast en français : ICI et en italien : ICI

 

Isabelle Rosselin est traductrice du néerlandais et de l’anglais vers le français depuis vingt-cinq ans. Après avoir étudié l’anglais, notamment à l’université de Groningue aux Pays-Bas, elle a obtenu son diplôme de fin d’études à l’École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs de Paris et un DESS de terminologie à l’Université de Paris III. Avant de se lancer dans la traduction, elle a travaillé comme lexicographe chez Larousse. Elle a travaillé huit ans comme traductrice, rédactrice et responsable du service de traduction à l’hebdomadaire Courrier international, pour lequel elle sélectionnait en outre les articles de la presse belge et néerlandaise. Parallèlement à ses activités de traductrice littéraire, elle a fondé en 1999 sa propre société de traduction, Zaplangues, spécialisée dans l’économie, la finance, le marketing, la communication et la presse. Elle a traduit plus d’une vingtaine d’ouvrages littéraires du néerlandais, notamment d’Anna Enquist, d’Arnon Grünberg, d’Arthur Japin, de Harry Mulisch, de Connie Palmen et de David van Reybrouck (Congo, prix Médicis essai 2012).


La Fondazione Giorgio Cini propose les résidences sur l’Isola di San Giorgio Maggiore : un parc avec une magnifique église, plusieurs expositions et le Centro Internazionale di Studi di Civiltà Ittaliana Vittore Branca. Ce centre abrite une bibliothèque magistrale avec plus de 300.000 livres où des dizaines de chercheurs se livrent à leur travail scientifique en ne se déplaçant qu’à pas feutrés et s’exprimant par chuchotements.

Toute la ville de Venise ainsi que sa lagune est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO Tous ceux qui l'ont visitée savent pourquoi. Venise a probablement autant de surnoms que de ponts. La ville est connue pour beaucoup d'autres choses, mais il ne fait aucun doute que les deux Vénitiens les plus célèbres sont Marco Polo et Casanova. Les villes côtières du sud de l'Europe semblent être une excellente source d'inspiration pour les découvertes et la littérature, comme l'illustrent Venise, mais aussi Lisbonne. Dans le passé, Venise a inspiré de nombreux auteurs. Les Citybooks montrent que c'est toujours le cas aujourd'hui.

A l'automne 2012, Cees Nooteboom, Atte Jongstra, Rebekka de Wit, l’italianophile Luc Devoldere et l'écrivain autrichien Lydia Mischkulnig ont passé quelques jours dans la Ville sur l'eau.  Les citybooks sur la ville sont sortis en néerlandais, en français et en anglais, avec une traduction de courtoisie en italien.

Le photographe Andrea Galiazzo a fait un portrait de Venise en 24 natures mortes. Quand la marée se retirait, Galiazzo récupérait pendant ses promenades des objets que l'eau de la lagune avait charrié et qui jonchaient le sol. Tramezzinimag présentera ce travail très original dans un prochain billet.


13 décembre 2019

La Venise mineure par Pasinetti

Venezia minore (la Venise mineure) est le titre d'une documentaire réalisé en 1940 par Francesco Pasinetti, réalisateur vénitien mort prématurément et qui était le frère du romancier Pier Maria Pasinetti. Comme l'écrivain, le cinéaste était un fou de Venise, leur ville, l'endroit où il avait grandi et il a su traduire son amour de la Sérénissime dans les images du film. La vie quotidienne de la ville est simplement filmée, la mise en scène légère et spontanée comme pour éviter les effets qui plombent le plus souvent les documentaires de voyage. On retrouve ainsi une Venise au fil de l'eau, des campi et et des ruelles,la caméra poursuivant son errance tout au long des images dans Cannaregio, Castello et Dorsoduro mais aussi du côté de la Giudecca. Un monde en partie disparu, mais qui survit tout de même dans notre regard et que nous aimons. Bon voyage en images et noir et blanc ! Un régal que TrameZziniMag est heureux de faire connaître à ceux qui ne l'auraient encore jamais vu. Bonne promenade.

16 octobre 2018

La Friche Belle de Mai à Venise : « Architecture invisible »




Et si nous parlions de la XVIe Biennale d'Architecture de Venise qui fermera ses portes le 25 novembre prochain ? A tout seigneur tout honneur, commençons par le pavillon français. 

Le collectif d’architectes Encore Heureux a investi le Pavillon français, réunissant autour de lui dix Lieux Infinis : dix lieux pionniers éparpillés dans l’Hexagone "qui explorent et expérimentent des processus collectifs pour habiter le monde et construire des communs" : l’Atelier Médicis, le 6B, le 104, l’Hôtel Pasteur, La Grande Halle, le Tri Postal, la Convention, les Grands Voisins, la Ferme du Bonheur


Et aussi, la Friche de la Belle de Mai... A ce rêve culturel et architectural marseillais dont on parle beaucoup, chantier du possible, était consacrée la conférence qui ouvrit la programmation du Pavillon Français. "Architecture invisible", une conversation autour de la Friche Belle de Mai avec les architectes Jean Nouvel, Patrick Bouchain et Matthieu Poitevin, animée par Jean Philippe Hugron, rédacteur en chef du Courrier de l’Architecture, et introduite par Agnès Vince, chargée de l’architecture au Ministère de la Culture.


"Des lieux ouverts, possibles, non-finis, qui instaurent des espaces de liberté où se cherchent des alternatives. Des lieux difficiles à définir car leur caractère principal est l’ouverture sur l’imprévu pour construire sans fin le possible à venir. Confrontés aux défis immenses de notre époque où les transitions écologiques peinent face à la domination de l’économie marchande, aux replis identitaires et à l’autoritarisme, il est urgent d’espérer. De s’inspirer d’expériences parfois éphémères mais concrètes et solidaires.
 
Nous présentons ici un choix subjectif de dix lieux issus de rencontres. Ce ne sont pas des modèles mais des signaux faibles qui ouvrent des perspectives protéiformes et subversives. Ils existent par leur volonté d’expérimenter, presque toujours à partir d’un bâtiment hors d’usage, d’un site délaissé. L’architecture s’y exprime dans la rencontre entre des qualités spatiales préexistantes et un processus organique de transformation qui n’a de sens que s’il répond aux besoins de tous et aux désirs de ceux qui s’y engagent avec courage et détermination. 

Dans cet accompagnement spatial et temporel, l’architecte généraliste se révèle un guide nécessaire, aux frontières de la mission qui lui est traditionnellement attribuée: il ne se limite pas là à construire des bâtiments mais cherche également à faire des lieux.
Des infinis de possibles, ici et maintenant." (texte de présentation des architectes)
"Architecture invisible" est un contenu de Radio Infinita, Radio Incompleta, la radio que Grenouille a activée à Venise, à la Caserma Pepe du Lido. Pour l’écouter, c’est ICI