24 février 2018

Un adagio pour accompagner la douce lenteur d'un dimanche...

Je ne sais pas vous, mais sauf à de rares occasions, fêtes carillonnées ou retrouvailles familiales, le dimanche reste toujours pour moi un moment privilégié, une pause dans un quotidien dont le rythme ne nous appartient pas toujours. L'Ancien Testament nous rappelle que Dieu, satisfait - et fatigué - par sa Création, se reposa la septième jour. Avec un pareil exemple, comment oser courir, s'exciter, s'éparpiller ce jour-là aussi ? Le jour du Seigneur, quelle jolie formule. Le dimanche est bien un jour spécial. 

Même sans plus aucune obligation professionnelle, sans les contraintes de temps et de résultats d'avant, il m'aura fallu des années pour oublier cette sensation terrible du dimanche soir, ce frisson de dépit et de tristesse à l'idée de devoir reprendre le collier dès le jour suivant. Tous ceux que la retraite - mais non le retrait - a délivré d'un quotidien d'obligations ont savouré ce moment où, enfin, chaque jour pouvait être comme un dimanche. la liberté totale. La disponibilité d'une page blanche... Bref, le dimanche, le vrai, celui qui arrive après le samedi, son antichambre animée, s'impose comme le plus joli jour de la semaine. Je souhaite à tous la douce torpeur qui me prend le dimanche et que j'entretiens avec gourmandise. Une sorte de ralenti sur image, une méditation continue où tout prend une ampleur nouvelle : les cloches qui appellent les fidèles, les oiseaux qui s'égayent dans les tilleuls sous mes fenêtres, le parfum des fleurs sur la table du salon, le chat qui ouvre un œil et s'étire en soupirant... 

Tout prend une autre saveur. Le petit-déjeuner apprêté, petits plats dans les grands - prendre le temps -, les fenêtres grandes ouvertes si le temps le permet, un bon livre entre les mains. le thé fumant... A tout cela, il faut une musique ample et sereine, puissante et harmonieuse. L'adagio pour hautbois, violoncelle et orgue de Domenico Zipoli, pièce composée pour l'offertoire et l'élévation de la messe, traduit à la perfection ce que je parviens bien mal à décrire avec les mots. Si vous l'entendez pour la première fois, un conseil : fermez les yeux, laissez pénétrer les harmonies et vous sentirez votre respiration se caler peu à peu sur le rythme pur et tranquille de la musique. Un morceau de paradis.
Ce prêtre toscan ne le fut jamais en réalité. Il mourut très jeune, loin de l'Italie, n'ayant pu être ordonné faute d'un évêque dans le diocèse. Au vu de ses talents musicaux, le maître de Chapelle du duc de Florence auprès de qui il étudiait la musique, l’envoya à Naples où il se perfectionna avec Alessandro Scarlatti. Il poursuivit sa formation à Rome en 1709  avec Bernardo Pasquini. Son talent et sa jeune renommée lui permirent de devenir et il devint maître de Chapelle du Gesú. C'est apparemment en fréquentant la communauté des jésuites qu'il décida d'entrer en religion. 


Il composa pendant ces années romaines plusieurs œuvres très appréciées. Ainsi en 1712 on joua ses Vespri e Mesa per la festa di San Carlo, et l’année suivante son Oratoire Sant’Antonio di Padova. Puis en 1714, l’Oratoire Santa Caterina, Vergine e Mártire fut acclamé. Sa renommée prenait une ampleur telle qu'on venait l'écouter de toute l'Italie. . Son destin de musicien semble tracé. Pourtant, il en avait décidé de prendre une autre voie en suivant la formaztion théologique auprès de la Compagnie de Jésus. Ainsi quelques mois après la parution en 1716 de ses Sonate d’intavolatura per organo e cimbalo, Domenico Zipoli, âgé seulement de 27 ans par pour Séville où il entre au noviciat de la Compagnie, le 1er juillet.  Répondant à son souhait, le Provincial envoie le jeune novice dans les colonies espagnoles d'Amérique du sud. Un an plus tard, le 13 juillet 1717, il débarque à Buenos Aires en compagnie de 54 jésuites, parmi lesquels se trouve l’historien Pedro Lozano 

En 1724, sa formation religieuse terminée au séminaire de Cordobà, il aurait dû être ordonné prêtre mais aucun évêque n'étant alors disponible, il fut nommé maître de chapelle, chef de chœur et organiste de la cathédrale.  Il continua de composer et très rapidement, ses œuvres furent célèbres dans toutes les Réductions des territoires espagnols, au Paraguay et au Pérou. Atteint de tuberculose, il mourut près de Cordobà, au monastère de Santa Caterina, le 2 janvier 1726, à l'âge de 37 ans.
Son œuvre lui a survécu et demeure l'une des plus belles du genre parmi toutes les compositions nées dans les Amériques espagnoles d'alors. Le baroque d'outre-atlantique reste assez méconnu mais recèle de véritables trésors. Les jésuites, jusqu'à leur Expulsion, bâtirent en même temps que de magnifiques églises, des orgues et des instruments de musique, des écoles de musique s'ouvrirent dans de nombreuses villes, des enfants furent formés au chant, partout des chœurs animaient les offices et illustraient les nombreuses fêtes et processions. Aujourd'hui encore, la musique de Zipoli est souvent interprétée comme cet adagio qu'on joue autant pour les mariages que pour les obsèques partout en Amérique du sud. Son ampleur et sa sérénité en font un outil de méditation qui émeut et nourrit.


L'universitaire et musicienne Evangelina Burchard, spécialiste de la musique des jésuites a consacré au musicien toscan un article publié en 2013. Dans lequel elle explique :

[...] Son œuvre musicale américaine eut un grand retentissement et une très forte reconnaissance dans les réductions, comme le raconte Lozano, où « des heures avant que ne joue Zipoli, l’église de la Compagnie se remplissait, tous désireux d’écouter ces harmonies aussi nouvelles que supérieures ». Comme le confirme également le Père Peramás dans son livre publié en 1793 « De vita et moribus » (se trouvant en Italie suite à l’expulsion des jésuites), « certains prêtres excellents dans l’art de la musique étaient venus d’Europe, enseignèrent aux indiens des villages à chanter et à jouer des instruments. Mais personne ne fut plus illustre ni prolifique que Dominque Zipoli, autre musicien romain, dont la parfaite harmonie des plus douces et des plus travaillées pouvait s’imposer. Les vêpres qui duraient toute l’après-midi étaient particulièrement exquises. Il composait différentes œuvres pour le temple, qu’on lui demandait par courrier jusqu’à la ville même de Lima »…

Dans une lettre du père Jaime Olivier datée de 1767 (année de l’expulsion) on lit : « Tous les villages ont leur musique complète d’au moins 30 musiciens. Les sopranos son très bons, en effet ils sont choisis parmi les meilleurs voix de tout le village, les faisant participer depuis leur plus jeune âge à l’école de musique. Leurs maîtres travaillent avec une grande rigueur et attention, et méritent réellement le titre de maître ; en effet ils connaissent la musique avec perfection et la composent parfaitement ; bien qu’ils n’en aient pas besoin puisqu’ils possèdent des compositions parmi les meilleurs d’Italie et d’Allemagne, mais également des œuvres du frère Zipoli…

Les instruments sont excellents ; il y des orgues, des clavecins, des harpes, des trompes marines et trompes de chasse, beaucoup d’excellents clairons, violons, contrebasses, bassons et chimirias. Dans toutes les fêtes, il y avait dans l’après-midi des avant-vêpres solennelles avec toute la musique divisée en deux chœurs ». L’influence de Zipoli ne se limite pas seulement à Córdoba. Le vice roi du Perou sollicita depuis Lima ses compositions.
En 1959, le musicologue Robert Stevenson trouva une Messe en Fa pour chœur à trois voix, deux violons, orgue et orgue continue de Zipoli dans les Archives Capitulaire de la ville de Sucre en Bolivie. Un autre travail, publié en 1994 par le Docteur Piort Nawrot, présenta une compilation de Musique de Vêpres de Domingo Zipoli et autres maîtres jésuites anonymes correspondant aux Archives épiscopales de Concepción de Chiquitos, Santa Cruz (Bolivie). De même, Nawrot réalisa d’autres travaux de recompilation comme la Messe des Apôtres de Zipoli.

Sa musique fit de nombreux et fervents admirateurs de son vivant comme après sa mort.

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