16 décembre 2005

Olga Rudge, une grande dame rencontrée à Venise ...

«Nous allons déjeuner chez Montin où nous avons le plaisir de rencontrer, très âgée mais armoniosa toujours la femme d'Ezra Pound, Olga Rudge. Une présence est là, la beauté chez cette presque centenaire qui sourit de toute sa jeune intelligence et séduit encore au-delà du compagnon merveilleux qu'elle n'escorte plus.»
 Yves Peyré,  
Venise réfléchie
éditions du limon, 1988. (p 14). 

De 1982 à 1985, tout jeune homme encore mal dégrossi, j'ai eu l'incroyable privilège de croiser à Venise de très grandes dames. Je les ai pour la plupart assidument fréquentées. Elles m'ont reçu, m'ont présenté, souvent m'ont aidé et toujours m'ont fait l'honneur de leur amitié et souvent de leurs conseils avisés : la comtesse Marcello, la Princesse Clari, Madame Couvreux-Rouché, Olga Rudge, la duchesse Decazes, Dachine Rainer, Regina Resnik, Liselotte Höhs...
 
Olga Rudge avait plus de quatre-vingt-dix ans, en 1986, quand j'ai eu le privilège de la rencontrer, chez l'avocat Feliciano Benvenuti, alors directeur de la fondation d'Art Moderne de la Fiat qui occupait le palazzo Grassi Grassi. Notre hôte recevait à l'occasion de la fameuse exposition sur le Futurisme mise en place par Pontus Hulten. C'est sa grande amie Dachine Rainer qui me présenta.
 
Dachine, écrivain américain réfugiée en Écosse depuis la chasse aux sorcières qui mit cette libertaire en prison, m'ayant pris en sympathie tout au long de son séjour vénitien, me demandait souvent de l'accompagner. Je plus à la veuve d'Ezra Pound, qui m'invita ensuite trois ou quatre fois chez elle. 
 
Je me souviens notamment d'une fois où je me rendis dans la maison du poète en compagnie de Dachine Ancienne collaboratrice et correspondante du poète, amie proche d'Olga et de sa fille, elle était littéralement habitée par l’œuvre de Pound qu'elle considérait comme l'un des plus grands poètes contemporains.
Je revois Olga Rudge, grande, altière et souriante, marchant dans les rues de Venise en devisant. « jeune homme» me disait-elle, «"marchons encore cela m'aide à penser, la vieillesse me rend molle...» Elle fut l'une des initiatrices du goût moderne pour la musique baroque. elle redécouvrit beaucoup de partitions originales et organisa de nombreux festivals. Nous sommes allés plusieurs fois, Olga Rudge, Dachine Rainer et moi, au Conservatoire Benedetto Marcello. Les élèves des classes supérieures et souvent les professeurs donnaient chaque samedi un petit concert.  Je dois encore avoir quelque part ma carte d'abonné. Après le concert et quelques chiachieratte avec les participants, nous allions nous installer suer le campo, à la terrasse de Paolin. 
 
Dans sa maison de la calle Querini, tout était plein encore de la présence du Maître. Venise dans les années 80 était intellectuellement très à gauche. Pound apparaissait comme un terrible réactionnaire. Faire la louange de son œuvre vous faisait aussitôt qualifier?  au mieux de conservateur bourgeois, au pire de fasciste dangereux. Des milliers de sales réactionnaires comme moi venaient du monde entier pour rencontrer le Temple et sa prêtresse. 
 
Leur maison-musée  a été à plusieurs reprises pillée, pendant la guerre sous prétexte qu'ils étaient étrangers, puis après la guerre parce qu'ils avaient eu des idées anti-communistes...Période sombre déjà pour la culture et la pensée; Mieux vaut en rire aujourd'hui. Bien que l'ère berlusconienne commence de nous montrer ce qui nous attend dans l'Europe de demain et particulièrement en France, si nous ne réagissons pas, d'aucuns continueront de considérer Ezra Pound et Olga Rudge comme de sales fascistes... Ce furent des esthètes, des intellectuels et des amoureux du grand et du beau. Rien de superficiel en tout cas. 

"L’arbre a pénétré dans mes mains, / la sève est montée le long de mes bras / l’arbre dans ma poitrine est devenu grand, / vers le bas, / les branches sont sorties de moi comme des bras / tu es arbre, / tu es mousse, / tu es violette que caresse le vent... / les arbres meurent et le rêve reste."
Ezra Pound - Cantos.

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